
Pour la première fois de l’année, les secondes sont en autonomie toute une heure durant. Ils ont pris des notes de façon hyper rigoureuse au cours précédent, c’est un peu leur récompense. Travaille de mise en scène. Les groupes ont été constitués, les tâches réparties, ils doivent se débrouiller.
Et donc, pour la première fois de l’année, je lâche la bride.
Ça me frappe au moment où je prononce la phrase « Maintenant, vous êtes responsables. » Je n’avais pas encore osé le faire avec mes élèves de lycées. Depuis le début de l’année, professoralement parlant, je serre les dents, je contracte les épaules. J’ai tellement peur de ne pas être légitime, de faire une connerie, de passer pour un débilos que je conçois chaque cours comme une performance où je dois tout le temps être en contrôle. Et là, je laisse la possibilité que ce soit le boxon.
Ça ne l’est pas. Les groupes bossent calmement. Rigolent de temps en temps, se remettent au boulot. J’erre, un peu désœuvré, ayant presque l’impression d’être de trop. Et la question : sont-ils aussi sérieux parce que j’ai été sur leur dos six mois durant, ou les ai-je étouffés tout ce temps ? Je ne le saurai jamais, et je n’ignore pas à quel point il est stérile de se poser cette question. À une collègue cet après-midi, je lui dis que mes cours sont encore « à la hache » : je tente de leur inculquer ce qu’il faut, mais je n’ai pas encore le temps, cette année, pour de la subtilité. Trop de choses à mener de front, en cette première année lycée.
Alors peut-être suis-je un peu passé à côté de ces secondes. Peut-être pas. En tout cas, cette heure-ci est douce, agréable, et productive. Autant s’en réjouir, les regrets, ça alourdit.