Je ne sais pas comment le dire moins naïvement, alors je le dirai aussi naïvement que ça : ils sont tellement beaux, quand ils comprennent. Les élèves je veux dire.
C’est l’un des trucs que mon cerveau efface à chaque vacance ou presque, comme s’il tentait de me faire une surprise à chaque reprise. Par exemple, pendant ces deux heures de cours de seconde. La prochaine fois que je les verrai, ce sera dans quinze jours, rapport aux ponts et aux oraux blancs que je fais passer en première : j’ai donc opté de les faire travailler sur les derniers points du commentaire littéraire. Notamment l’amorce.
« Monsieur, je sais pas comment commencer mon devoir.
– Je pense que si. Posez-vous les questions les plus simples.
– Quelles questions ?
– Par exemple, ce texte…
– Oui ?
– Quelle est la première chose que vous m’avez dit dessus ?
– Que je trouvais ça bizarre, parce que d’habitude, les monologues servent à en apprendre davantage sur le personnage qui les prononce, et que je trouvais que ça n’était pas le cas. Mais bien sûr maintenant j’ai compris que… ooooooh !
– Et voilà. »
C’est toujours intense et fugace. Mais cette expression sur leur visage… ça n’est ni de l’émerveillement ni de la joie, c’est eux, en mieux. Comme si un obstacle, un poids c’était soudainement levé. Et c’est pour cela qu’il n’y a pas souvent de questions bêtes. Comme celle de Gareth, en première. Élève excellent qui m’appelle, un peu honteux, pendant son évaluation.
« Monsieur, c’est quoi l’intrigue du texte ?
– L’histoire.
– C’est juste ça ? Mais je savais même pas !
– Et maintenant vous savez. »
C’est dans ces quelques instants que, moi aussi, j’ai l’impression de saisir un truc. Quelque chose qui se trouve au plus sensible de mon métier. Au plus important. Cette sensation tellement douce, tellement optimiste que c’est en embrasant des intelligences que l’on sauvera le monde.