
Premier conflit avec un élève de l’année scolaire. J’aime bien Gwenn, en plus. Il a un côté ombrageux, négligent, et pourtant, il est évident qu’il bosse énormément. Sauf qu’il n’aime pas se relire.
« Monsieur, pourquoi j’ai perdu un point, dans le contrôle de lecture ?
– Si je me souviens bien, Thérèse Raquin meurt en buvant du poison.
– Ben c’est ce que j’ai écrit.
– Je lis poisson.
– Oui, ben vous avez compris.
– C’est le problème de l’orthographe… Là vous avez totalement changé le sens de votre phrase.
– Mais c’est dégueulasse !
– Gwenn…
– C’est dégueulasse, j’aurais écrit poizon, vous auriez compté bon.
– J’essaye de vous apprendre… »
Il est déjà parti, furibond. Et je reprends discrètement mon souffle. Ça n’est pas que j’ai été particulièrement effrayé. Gwenn n’a pas été particulièrement menaçant ou même bruyant. Mais je finis par connaître cette projection brutale d’agressivité. Celle qui provoque un creux au niveau de la poitrine, là d’où surgit le réflexe de défense. Ça n’était pas une protestation pour la forme, pour gratter un point. Ça n’était pas juste une question d’orthographe. J’ai visiblement touché quelque chose de sensible, directement en rapport avec cette évaluation ou pas.
Peu importe que ce soit volontaire ou pas, il a eu mal. Et Gwenn est tellement secret, et j’ai tellement peu de temps à consacrer à chaque élève cette année, que j’ignore comment je vais pouvoir gérer cette douloureuse énigme.


