Jeudi 7 septembre
Le jeudi, j’aurai donc huit heures de cours. Quatre fois deux heures.
Le jeudi, je verrai donc tous mes élèves. 71 secondes plus 48 premières, 119 jeunes gens (j’arrive plus à dire mômes).
Je les vois arriver, écrasés par la chaleur de cette interminable canicule bretonne. Les cahiers et les éventails s’agitent, “on dirait une installation d’art contemporain.” Quelques-uns rigolent, deux ou trois sincèrement. Cette journée est interminable, mais elle me permet de commencer à “voir le dessin” de la classe. C’est une expression que j’ai emprunté à R., ma prof de théâtre. Elle parle souvent du “dessin du texte”, et ça parle beaucoup aux élèves.
Il y a d’abord les Premières Galopa. Pour une raison que j’ignore je m’imagine que je suis leur professeur principal (alors que pas du tout). Ils sont farouches. À m’observer comme un spécimen à la fois pittoresque et dangereux, une sorte de cobra qui ferait du standup. Parce que certes, j’ai des tatouages et des chaussures rigolotes, mais je tiens leur bac de français entre mes mains, quand même. Ça donne un cours étrange, entre réponses enthousiastes et silences brutaux, amplifiés par la montée progressive de la température, en cette matinée au lycée Keves.
Suivent les Premières Herbizarres, seule classe dont je me méfiais au premier cours. Petits rires et regard entendus échangés. Impression d’être le sujet d’une blague commune. Non pas que je m’en formalise – ça arrive fréquemment quand on est prof – mais ça n’est jamais agréable, surtout au début. Et aujourd’hui, des questions, des suggestions, un cours qui passe à une vitesse folle et beaucoup de sourires. “Vous me rassurez beaucoup, monsieur.”
Ça fait du bien, sur le trajet qui me mène au lycée Agnus. Où je retrouve les secondes Germignon. Mon ethos de prof de collège reprend le dessus. Ils sont encore fragiles et un peu perdus. Les bon vieux trucs de les remettre en confiance en bossant sur ce qu’ils connaissent. Le très léger silence lorsqu’ils commencent à partir dans tout les sens. – c’est la seule manifestation de mécontentement que j’ai dû montrer depuis le début de l’année – et les quelques blagues pendant la pause entre les deux heures. Ce sont de bonnes personnes. De chouettes secondes en devenir. “On n’a pas encore tout à fait commencé le programme de seconde” leur dis-je à la fin du cours. Mais ça ne saurait tardé.
Et je termine, dans un état proche de l’Ohio, avec les secondes Ixon. Une sacrée bande de potes – ils se connaissent presque tous – avec l’éternel groupe de garçons, forts en gueule et en français, et de filles, faussement timides, n’attendant qu’un mot pour se changer en guerrières. À ce stade, difficile de discerner les individus. J’en ai plein la rétine et la matière grise, des élèves.
“Je vais avoir du mal à retenir tout de suite vos noms, j’en suis désolé.”
Mais ça va venir. Vos noms, vos façons de parler, ce que vous préférez dans le cours et ce que vous fuyez. Les manies de certains, les tics de langage d’autres.
Bienvenue dans ce monde partagé, crée par chacun d’entre nous.