Mardi 4 juin

« C’est un honneur et un privilège. »

C’est con, ça me trotte dans la tête à chaque fois que je me retrouve en cours avec les premières de l’amour céleste, en ce moment. Cette phrase et un immense compte à rebours rouge. Plus que trois heures. Plus que deux.

Cette semaine, nous sommes en atelier révisions. Bachottage, plutôt. Chacun des élèves travail sur un point précis. Les questions fusent, je me déplace de table en table. Et je suis surpris du ton qu’ils prennent en m’interrogeant. Oui, bien sûr, ils sont nerveux. Mais pas de cette nervosité qu’on énormément d’élèves devant des examens : celle de quelqu’un qui va faire face à des forces cosmiques insondables. Non, les premières de l’amour céleste ont parfaitement compris que le bac est un ensemble de règles, pour certaines très logiques pour d’autres, comment dire, un poil moins. Et ils cherchent à rationaliser le plus leur approche. Pas de « j’y arriverai jamais » mais plutôt des « je suis toujours mauvais là-dedans. » Pas de « J’espère trop que ce sera ça » mais des « J’ai regardé les sujets des centres étrangers, je les trouve très généraux dans leur formulation. »

Pas d’affect ou de volonté de se mettre en avant. Il n’est plus temps. Ils n’ont jamais ou presque été comme ça. Je m’en rends compte avec un léger vertige, je travaille avec des adultes. Non, je connais nombre d’adultes, moi le premier, qui ne sont pas comme ça. Je travaille avec des gens bien. Juste ça. Encore une fois, j’ignore ce qu’il s’est passé dans ce groupe de personnes pour en arriver à ce miracle. Ce groupe de personnes avec qui l’heure passe en éclair.

Plus qu’une.

Vendredi 23 février

Dernier jour de la période. Réunion pour préparer le bac blanc, derniers élèves qui viennent me demander des conseils sur leurs lectures linéaires. Depuis quelques années, il se passe systématiquement la même chose, la semaine précédent les vacances : je rampe jusqu’à l’ultime journée durant laquelle je passe de l’autre côté. Je me sens léger, non pas dans l’expectative des congés, mais parce que je repense à tout ce qu’il vient de m’arriver le mois, le trimestre précédent. Et que tout me semble faire sens.

Il paraît que le cerveau humain a tendance à chercher un sens à toutes les représentations qui lui sont proposées. C’est peut-être, c’est sans doute mon cas : faire des éléments épars de mon boulot une histoire cohérente, un livre dont vous êtes le héros.

Quand bien même. Même si c’est une illusion, elle me permet de me dire que je retrouverai les élèves avec joie, après deux semaines sans les voir.

Allez, plus que trois heures. Et ce sera plus doux.