
En fait, comme l’a justement et perfidement fait remarquer un anonyme sur Twitter je sais juste « faire genre ».
J’étais arrivé gonflé comme un coq au lycée. Cinq élèves ayant fraudé à Chat GPT sur un commentaire de texte : j’allais rédiger une engueulade sur Chat GPT, faire étudier des extraits de copies aux élèves pour montrer que c’est bête, j’allais préparer un grand discours à la Robin Williams, j’allais.
Passer les portes du lycée. Et tout change.
Parce que c’est exactement comme pour les réseaux. Les images d’élèves s’incarnent. Leurs actions, bonnes ou mauvaises, prennent place dans toute leur complexité. Et surtout, surtout, il y a cette espèce de guide que je tente de muscler depuis des années, depuis qu’un événement mineur, ridicule, stupide, m’a convaincu que la douleur, physique ou morale, ça n’apporte jamais rien, ce guide, donc, qui me rappelle à l’ordre. C’est quand je suis contrarié, quand j’ai envie d’être odieux, que je dois me montrer fidèle à mes principes. Fidèle à ma conviction que la gentillesse a des dents. Que les générations à venir grandissent par imitation.
Alors autant qu’elles imitent quelque chose que je crois estimable.
« Bon. Les secondes il faut qu’on parle, cinq élèves ont utilisé ChatGPT pour faire leur commentaire. »
Évite les regards appuyés, du style « je sais qui vous êtes. » C’est pas ça l’important. L’important c’est que :
« Évidemment ça se voit. Ça n’est pas fait pour ça. Donc je vais rendre les autres copies. Ceux qui ne les auront pas, je vous propose de venir me voir à la pause, ou de m’écrire un mail si ça vous embête trop de vous afficher, et je vous réexplique. Et vous me rendez le devoir pour mercredi, parce qu’en attendant, vous ne vous êtes pas entraînés et je ne peux donc pas vous donner les conseils que j’ai indiqués sur les autres copies. J’en profite pour vous expliquer ce qu’il y a de spécifique au commentaire, qui empêche les IA d’être performantes. »
Je tente d’être précis. D’avoir des phrases qui ne soient pas trop longues. Et surtout de transmettre ce que je ressens vraiment : de la préoccupation. Je ne suis plus en colère, un dimanche après-midi à débattre souvent inutilement sur les réseaux sociaux m’a vidé de toute agressivité. Je suis juste inquiet de voir mes cinq fraudeurs faire du surplace.
Et angoisser pendant qu’ils regardent, les yeux droit dans le vide, la mâchoire serrée. Je n’ai donné aucun nom, pourtant.
C’est la pause. Ils viennent à mon bureau, du pas du condamné.
« Bon. C’était quoi le souci. La flemme ? Un oubli ? Vous n’avez pas compris ? »
Prendre chaque problème, l’un après l’autre. Sans commisération, sans agressivité. Le placer sur la table d’opération, lui ouvrir le bide, et montrer que souvent, dedans, il n’y a que du vent. Les protestations qui allaient fuser s’arrêtent. Ils repartent, une fiche méthode à la main, encore un peu de travail à faire à la maison. Mais lèvent la main à l’heure suivante, participent, sans flagornerie. Il y en a même un qui tente une blague sur le plagiat : « Trop tôt. Beaucoup trop tôt. », lui balance un pote.
Je me fais sans doute des idées. Peut-être sont-ils juste heureux de s’en tirer à si bon compte et recommenceront-ils à la prochaine occasion. Tant pis. J’ai ce que je veux, eux aussi. Voilà la scène que je veux qu’ils retiennent. C’est ça un adulte : quelqu’un qui sait, qui recadre, mais qui n’a pas le temps pour des trucs futiles comme les engueulades ou les sanctions. J’ai un objectif, je sais que c’est le bon, je sais leur donner les moyens pour l’atteindre. C’est tout.
Gonflé comme une outre de vanité, je pars en me disant que c’est ça, mon monde idéal : dégonfler les conneries comme les vastes baudruches qu’elles sont, se concentrer sur l’essentiel. Les faire réussir, leur faire prendre confiance en eux.
Ils ont retenus, aujourd’hui, ce qu’était l’Honneur, chez Racine. C’est le plus important. Leur intelligence qui brille.
