
Je commence la journée avec une question qui me turlupine. Aujourd’hui, les cinquièmes Glee ont une intervention avec un agent de police qui doit leur parler des dangers d’internet (j’aurais bien mis une police qui fait peur, mais tumblr ne me le permets pas). Intervention programmée à 8h30, d’après leur emploi du temps, quand ils commencent leurs cours à 9h30. Je vais m’en ouvrir à Cheffe Adjointe que je trouve en train de fulminer que ça en renverrait l’Etna au rang d’aimable barbecue de jardin.
Il faut dire que Cheffe Adjointe s’est mise en tête de faire elle-même les emplois du temps de la semaine projet, cette fameuse semaine précédent les vacances, durant laquelle tous les cours sont remplacées par des activités visant à travailler en interdisciplinarité, à créer des projets… Il faut croire que sa certitude “mais nooooon, ne vous embêtez pas à faire les emplois du temps vous-même, Pronote s’en occupera, ahah !” a fait long feu.
Je lui explique donc avec toutes les précautions possibles que les Glee ne commencent qu’à 9h30. Cheffe Adjointe me lance un regard qui manque de me désintégrer la face et me signale que de toutes façons c’est comme ça, et que je n’avais qu’à les prévenir.
Je n’ai jamais été informé de ladite formation mais baste. Je me prépare donc à accueillir le représentant de l’ordre – qui se révélera fort sympathique au demeurant – en lui expliquant qu’il risque de ne faire sa formation qu’à moi (et à Chaco qui arrive tous les jours à 8h30 parce qu’il ne comprend toujours pas son emploi du temps).
8h25. Je transpire à grosses gouttes en observant la cours de récréation, quand j’aperçois les cinquièmes Glee en train de s’installer gentiment sur leur emplacement dans la cours.
“Je… Vous êtes là ?
– Ben oui monsieur, Pronote indiquait que nous commencions une heure plus tôt aujourd’hui.”
Je dois avoir devant moi l’une des trois classes dont 99% des élèves consulte leur emploi du temps tous les jours. Je manque de m’écrouler en sanglots à leurs pieds, en bramant que je veux bien les adopter, et que je les aime très fort. Je conduis donc mon cheptel et ma dignité à l’étage. Égaux à eux-même, les mômes attendent gentiment la mise en place de l’intervention en complétant un exercice sur les tons et les depuis ton, puis écoutent le conférencier, mais se penchent les uns sur les autres lors de la vidéo mettant en scène un harceleur : “C’est pas super bien joué, quand même…”
Mes adorables, insupportables petits snobs…
Qui confirment lorsque je les retrouve en cours. Nous lisons ensemble la nouvelle “Le Robot qui rêvait”, d’Isaac Asimov. Au moment où Susan Calvin commet l’irréparable, cinq voix simultanément “Mais il était VIVANT !”
Cinquième Glee, triple urgence : que je continue à hausser le niveaux pour ceux qui le peuvent – la moitié – que je les fasse sortir de leur bulle de petits élèves privilégiés, que je lègue le groupe à un autre professeur. Préparez-vous à des pages de lamentation. Mais après un an et demi, ils sont la plus belle expérience de ma vie d’enseignant. Raison de plus pour espérer la fin, s’y attacher davantage ne serait pas un service à leur rendre, en tant que prof.
L’après midi, c’est au tour des troisièmes Max. Fidèles à leur nature volatile, ils vont, après une semaine idyllique, me mettre la tête à l’envers. Le travail de groupe prévu sur La ferme des animaux se déroule dans un zbeul pas possible. Victoire tout de même : j’arrive à mettre Gau au travail après lui avoir confisqué le jeu vidéo qu’il a imprudemment amené en cours.
Ce n’est plus que les troisièmes Max refusent de bosser, c’est qu’ils sont incapable de supporter la moindre graine de laborieux dans leur bol de français. Ils grognent et râlent – bruyamment – tout en avançant. Jusqu’à ce qu’Amelia se dresse sur ses pieds en pointant frénétiquement la baie vitrée par laquelle on aperçoit la salle d’en face :
“MONSIEUR, LE PETIT SIXIÈME EN FACE IL TWERKE !”
De fait. Profitant que son prof explique quelque chose à un autre môme, le gamin colle ses fesses à la vitre et se trémousse comme s’il avait avalé un marteau-piqueur.
Puis croise mon regard.
Puis celui de tous les troisièmes Max, hilares.
“Monsieur… Vous avez pensé à tout ça quand vous êtes devenu prof ?”
Vraiment pas.