Mardi 30 janvier

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Snowe a la tête d’Helmut au creux de son bras. Snowe me regarde en souriant, tandis qu’Helmut se débat. “On joue !” Il lui donne deux ou trois coups pendant qu’il me parle. Le fait que je soit un prof, son prof, lui semble totalement indifférent.

C’est que Snowe a compris. Snowe doit bientôt partir en classe relais. Il a rempli son dossier avec un sérieux exemplaire avec l’aide de Cheffe Adjointe, auprès de qui il a été parfait. Et a avoué ses fêlures aussi. Comment ne peut-on pas le comprendre, ce gosse, après avoir passé du temps avec lui ?

Jeudi, je l’ai vu mettre des balayettes à la petite Rina, jusqu’à ce qu’elle se mette à pleurer. Et s’enfuir en rigolant quand je l’ai appelé.

Vendredi, il s’est jeté de tout son poids sur Gabocha qui est tout petit, tout fragile et l’a aussi fait pleurer.

Lundi, il a insulté Lyra, qui ne parle pas bien français et n’a pas compris.

Et mardi, il violente Helmut. Lové dans un trou d’air du système, de notre système, d’Ylisse, Snowe me regarde, hilare. Dans ma tête, je compose mentalement un énième rapport. À quoi bon ? Y. le traitera immédiatement. Et puis on nous expliquera que oui, c’est compliqué, mais que vraiment, Snowe, il essaye de s’en sortir.

Failles.

Soit. Moi aussi.

Monsieur Vivi a vécu un truc pareil, il y a peu. Peut-être est-ce le souvenir de cette expérience, peut-être un ras-le-bol, peut-être le refus d’un mal aussi médiocre, aussi grotesque. Mais ce que je vais faire à présent m’apparaît dans une merveilleuse et impardonnable clarté.

Ma main se referme en pince, fermement et sans aucune violence sur le cou de Snowe. Qui, de surprise, relâche Helmut. Presque prudemment, je colle Snowe contre le mur et je place mes mains sur ses épaules.

“Est-ce que vous pouvez partir ?“

Snowe s’agite un peu. Un tout petit peu plus. Puis sérieusement. Il ne bouge pas d’un pouce, et moi non plus. Comme si mes mains étaient certaines de ce qu’elles doivent faire, elles restent en place. Snowe tente vraiment de lutter désormais.

“Est-ce que c’est une sensation agréable ?”

Ma voix est douce, mielleuse.

“Est-ce que vous aimez être dans cette situation ?
– Non. Non non !
– Ça s’appelle de la coercition. C’est le pire que l’on puisse faire à quelqu’un. C’est ce que vous faisiez à Helmut.”

Et à Rina.

Et à Gabocha.

Je relâche ma pression. Snowe me regarde, les yeux ronds. Me suit dans la salle et travaille avec application toute la séance. Les pensées me tourbillonnent dans la tête.

Je n’aurais pas dû. Toucher un élève, le contraindre. Et puis je vois. Gabocha, Rina, Lyra et les autres. Qui s’écartent quand Snowe les approche, qui traînent en classe à la récréation en attendant que le môme descende.

C’est grave. On ne devrait jamais aller au collège comme ça. En ce moment, les mots ne suffisent pas. Je ne suis pas fier, mais je protège, je marque les limites. Dans les failles.
En espérant que, vite, nous trouverons un moyen de guérir Snowe du noir qui le mange.

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