Jeudi 23 juin

Il ne faudrait pas avoir de héros.
J’ai un goût amer dans la bouche tandis que la voiture me reconduit à la maison. Le téléphone m’a notifié la possibilité qu’une personne que j’admire soit l’une des figures du mal médiocre, répandu et terrible qui gangrène le monde. Goût amer et question : que faire de la masculinité ? La sienne propre, bien sûr, et celles que l’on a en charge, dans nos classes. Les petits mecs qui découvrent ce que c’est d’appartenir à cette partie du genre.
Déjà, il y a des comportements qui inquiètent. Dans la cours, dans les couloirs. Les termes employés, les clichés sur la douceur féminine et le courage masculin. Et d’autres, liste interminable et souvent plus subtile. Que faire de la masculinité, la sienne et celle de ses élèves ? Est-ce que, sans m’en rendre compte, par paresse ou négligence, je ne participe pas à transmettre un modèle glauque ? Comme beaucoup de monde je pense faire attention. Mais ça n’est pas évident.
Aujourd’hui, les sixièmes de l’atelier théâtre ont joué devant d’autres élèves. J’étais heureux, fier d’eux. De les voir, surtout, en train de s’entraider. De prendre soin les uns des autres, garçons et filles. Rôles répartis, me semblait-il, équitablement. Parole répartie, me semblait-il, équitablement.
Mais qu’est-ce que j’en sais, au fond ?
Plutôt que de continuer à me chercher des héros, je devrais sans doute essayer de préparer ceux du futurs. Les aider à se fabriquer un cœur gros comme ça et un cerveau de même acabit. Les éduquer sans haine de la société actuelle mais sans compromission envers elle non plus. Ce serait un bel idéal. Mais qui nécessiterait que je sois moi-même un Gandalf, un Mentor, ou juste lucide.
L’herbe jaunit tout autour de la voiture. Ce soir, l’espoir est resté sur scène, avec leurs rires.