Vendredi 24 juin

Hier, je suis allé voir A. danser. Avant le spectacle, j’ai aperçu les participantes au spectacle répéter. Comme pour toute représentation, elles donnaient l’impression de jouer leur vie.
Je pense que connaître ce genre de moment, où l’on s’apprête à monter sur scène, à connaître la concrétisation d’un effort important, où l’on sent que l’on accomplit quelque chose d’important, est essentiel.
Comme par exemple, avec Thibalt. Thibalt est un môme que mon collègue J-M adopterait bien, si le gamin n’avait pas de parents et que je ne m’étais pas d’abord inscrit sur la liste. Au début de l’année, le gamin était scotché à Yannick. Yannick qui est populaire, bon en sport, et passait son temps à se foutre de lui. Et même s’il n’y a pas eu de grande rupture, même si il ne s’est rien passé de particulier, j’ai vu Thibalt se détacher de son pote. Peut-être, juste, que Thibalt a grandi.
Et aujourd’hui, grande fierté pour lui, il est premier ex-aequo au grand défi de la classe sur Bilbo le Hobbit. Ex-aequo avec Luke, son opposé total. Là où Thibalt est bien dans ses baskets, populaire et intégré, Luke est introverti, a pour meilleurs amis les personnages de ses bouquins et se fait régulièrement moquer par ses camarades.
Le souci, c’est que je n’avais prévu qu’un seul bouquin, comme prix. Je leur demande s’ils sont prêts à se mettre d’accord.
“J’ai déjà plein de livres, monsieur, les bonbons me suffiront parfaitement”, finit par déclarer Luke, de sa syntaxe toujours impeccable.
Ils sont au milieu de leurs camarades qui se réjouissent. Thibalt a un grand sourire et adresse une grande accolade au paria des gamins populaires, qui reste les bras un peu ballants, tandis que pas mal d’élèves restent interdits devant cet affront au statut de collégien bien intégré.
“Tu viendras pas dormir à la maison, samedi.”
Ça se passe dans les escaliers, juste après, à la récréation. Yannick regarde Thibalt d’un air mauvais. Thibalt qui s’arrête. Le fixe. Et hausse les épaules. Bien sûr il ne rejoint pas Luke – on n’est pas dans un téléfilm – mais il descend les escaliers, libre. C’est une interaction simple banale.
Mais c’est aussi un grand moment mythologique, qu’il faut vivre en fin d’année.