Vendredi 2 septembre

La lumière faiblit et des rayons de ténèbres s’abattent sur le petit groupe. Nous reculons, grièvement blessés. Et c’est là que je sais comment agir. Mes mains s’illuminent et les plaies se referment. Nous sommes prêts à repartir à l’assaut du monstre que nous affrontons. Dans les écouteurs, Z. avec dans la voix son sourire habituel :
“Tu réagis bien sous la pression.”
Cette scène a lieu durant le premier confinement, durant lequel je trompe l’ennui des 34m² de mon appartement parisien en jouant à World of Warcraft. Je suis un guérisseur, et, plus précisément, un guérisseur réactif. Ce qui signifie que mon avatar soigne ses alliés une fois les dégâts advenus, plutôt que de chercher à les protéger, de ces dégâts, ce qui est également un style de jeu possible.
Aujourd’hui, alors que je rencontre pour la première fois les Quatrièmes Rosélia, la voix de Z. me revient en tête. C’est la rentrée, les mômes sont, forcément, encore inhibés. J’ignore totalement comment ils se comporteront dans quelques semaines. Mais je sais que je suis mal à l’aise. Il m’est extrêmement difficile de travailler dans le silence. Ce que je tente, en ces premières heures, est de filer l’écheveau de notre langage commun. C’est probablement un tort : j’ouvre, d’emblée, la possibilité à la transgression. Ou je risque de les perdre, à leur demander, déjà, de participer, de patouiller des trucs.
Mais il le faut. J’ai pontifié à qui voulait l’entendre qu’on ne pouvait appliquer de méthodes qui ne correspondaient pas à sa personnalité : je l’assume. J’ai besoin de rebondir sur leurs interventions, de sculpter cet espace à l’aune de leurs voix, de leurs réussites et de leurs refus. Les premières heures me terrifient parce qu’elles sont vides. Finalement, mes premiers cours, mes premières paroles pourraient se résumer à “qui êtes-vous ?” Je suis dans le noir. Et leurs regards, leur langage, comme des torches.
Ils ont l’air chouette. Une fois que nous nous serons vus, vraiment vus, que nous auront pris la mesure les uns des autres, je saurai s’ils le sont vraiment. J’ai hâte.