Lundi 5 septembre

Je n’ai jamais aimé Le Petit Prince.
J’ignore pourquoi. Il y a dans ces lignes quelque chose qui me dérange. Comme si Saint-Exupéry trichait. Mettait des mots sur des sentiments qui feraient mieux de rester indicibles. Ce doit être mon côté snob.
Mais, alors que commence la première vraie semaine de boulot, il faut reconnaître que le monologue du renard sur le fait d’apprivoiser n’est pas dénué de fondement.
Apprivoiser le collège. En aménageant “sa” salle, puisque je fais cette année encore partie des nantis qui ne quittent jamais leurs murs. Des défis lancés aux élèves, une petite bibliothèque, bientôt quelques citations d’auteurs et des affiches, si je parviens à en trouver. Une antique tablette, servant de poste multimédia aux élèves allophones. Et une peluche de Chocobo en train de lire, sur l’un des rayonnages. C’est approprié, et les élèves lui lancent des regards à s’en décrocher les globes oculaires.
Apprivoiser les gens qui y travaillent, depuis bien plus longtemps que toi. Apprendre leur débit, leurs habitudes. Tout change, on n’amène plus les documents au même bureau que l’année dernière, la secrétaire est ici un génie de l’informatique, et les manuels scolaires ne se trouvent plus au même endroit.
Apprivoiser les élèves, bien entendu. Ici, c’est encore un rythme différent. Pas la même musique qu’à Ylisse, qu’à Hoshido, qu’à Crimea. Pour le moment, ce sont surtout leurs difficultés que je prends en pleine face. C’est toujours pareil. Et il faudra à nouveau s’élancer, dans leurs univers, leur langue, leur parcours, pour y trouver ce qui leur permet de consumer les chaînes.
Et puis, en fin de journée, je sors. C’est vrai que ça fatigue, ce boulot. Dans mon angle mort, trois grands types m’arrivent dessus. Ils ne sont pas si grands, en fait. Mais plus grands que tous les autres mômes que j’ai croisés jusqu’alors.
“Monsieur, vous êtes prof de quoi ?”
Un peu, juste un poil, d’arrogance. Je suis sur leur ter ter après tout, à ces troisièmes. Je rigole un peu, intérieurement. Je commence à être un vieux con, je peux me le permettre.
“À votre avis ?
– De techno !
– On dit tout le temps ça ! Je vais croire que je me suis trompé de matière !
– Anglais ! Non maths ! Non EPS ! Non français !
– Il ne restait plus grand-chose… Comment s’est passée la rentrée ?
– Bien… Un peu stressant, en fait !”
Ils me parlent un peu de leurs vacances. Du brevet. Je pars en leur faisant un petit signe de la main.
Un peu apprivoisé.