Jeudi 15 septembre

Sur l’un des côté de la salle, j’ai collé quatre tables, récupéré un ordi non utilisé du bahut et une vieille tablette. J’y ai placé des album, des livres de lecture, et une possibilité d’écouter des histoires. Un coin un peu joli, un peu chouette, pour que les élèves qui ne comprennent pas encore le français puissent bosser, quand certains cours sont vraiment au-delà de leur maîtrise du français. Il y en a au moins deux par classe, hormis en quatrième.

Endroit devenu, en quelques jours, un lieu déchaînant les passions.

“Pourquoi j’aller ?” proteste Raura, quand je lui propose de s’y installer et de préparer une présentation d’un conte au reste de la classe. Rien à faire. Elle restera assise à sa place, à remplir une feuille à laquelle elle ne comprend rien et que je n’ai pas le temps de lui expliquer en détails, plutôt que de se retrouver à cet endroit, différent du reste de la classe.

Pour Arto et Millie, par contre, c’est presque devenu une habitude, à tel point que je dois leur rappeler qu’on dit bonjour, avant de gagner l’endroit où les attendent leur travail.

Il y a aussi les mômes qui jalousent l’endroit : “Pourquoi on ne peut pas aller sur les ordis, nous ?
– Pour quoi faire ?
– Ben des recherches-sur-internet (ça se prononce en une seule respiration).
– Il n’y a pas internet, sur ces ordinateurs.
– Pour taper les cours.
– Et vous en ferez quoi, après ?”

Ça n’est pas la première fois que ça arrive. En quinze ans, j’ai aménagé les salles de classes de mille façons différentes. Et comme pour absolument tout ce que j’ai vécu dans le boulot, il n’y a jamais eu triomphe total ni défaite absolue. Au fond, ces quatre tables, elles sont comme absolument tout le reste du boulot : un lieu d’angoisse pour certains, d’épanouissement pour les autres, une façon de biaiser… Il ne s’agit pas de sombrer dans le relativisme, de dire que tout se vaut. Mais, en cette période où le collège va une énième fois être réformé, il ne serait pas néfaste que ceux qui vont tritouiller s’en souviennent. Si être enseignant est un métier aussi complexe, c’est que nous faisons du sur mesure. Tous les ans, pour chaque classe. Nous travaillons un matériau qui s’étiolera dès la fin de l’année. Il ne s’agit pas de trouver la solution, la méthode, venu d’au-delà des océans ou des contrées enneigées.

Il s’agit de laisser au enfants comme aux adultes la possibilité de tenter. En îlots, en rangs, en cercle, avec ou sans devoirs. Il s’agit d’avoir confiance.

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