Lundi 19 septembre

Je déteste contrôler les corps.

Il est 15h50, c’est l’heure de la récré. Les sixièmes Togepi ont beaucoup travaillé. Cette activité sur la lecture de consignes, qui consiste à se demander ce que les profs attendent des élèves, et sur les chausse-trappe qui peuvent s’ouvrir pendant une évaluation. Lire les questions jusqu’au bout, penser à faire des phrases, à justifier. Ce cours fonctionne assez bien et, toute vanité bue, plaît aux élèves. N’empêche qu’il demande de rester attentif un sacré bout de temps, sans trop de moments pour relâcher la pression.
Je le constate notamment chez Clive, qui a déjà acquis en salle des profs une réputation de zébulon. Jusque là, en français (prendre la voix insupportable de prof qui crâne “Moi, dans mon cours, j’ai aucun souci.”), il s’est montré plutôt discret et concentré.

Enfin, discret et concentré quand ça compte. Dans les périodes de boulot.

Il est 15h50, c’est la récré, et Clive saute de sa chaise. Il fait quelques pas dans le rang, se laisse glisser sur les genoux, comme un footballer après un but particulièrement brillant. (ceci était la minute hétéro du billet) Sa glissage l’amène devant l’AESH d’une élève, qui se met à le sermonner copieusement.

Et dans les faits, elle a raison. C’est absolument n’importe quoi. J’aimerais avoir le temps de lui dire que Clive devrait pouvoir s’en sortir avec un froncement de sourcils et une légère remontrance. Parce qu’il a énormément donné. Durant ces deux heures, je l’ai vu plusieurs fois se redresser, de temps à autres vibrer comme une cocotte minute. Se remettre d’aplomb.

Et là, il y a eu cet instant de libération. Qui n’était pas légitime, mais compréhensible.

Être au collège, on l’a souvent répété, c’est commencer à vivre en société. Et cela passe par une contrainte assez folle des corps. La station assise. Ou même, dans nos plus folles expérimentations de pédagos, des mouvements précis et organisés. Ça peut sembler aller de soi. Ça ne le va pas du tout.

Je déteste contrôler les corps.

Dans l’idéal, j’aimerais que ça aille de soi. C’est souvent le cas. Les mômes s’assoient, se déplacent ici ou là, de manière raisonnée, parce qu’ils considèrent que c’est cohérent. Nos cours vont quelque part, ils adoptent une attitude qui s’y conforme. Mais parfois, la fatigue affale une posture, la tristesse détourne un visage, la douleur tend une jambe sur la chaise vide de devant. Et se montrer cassant, plutôt que précis, sur ces manquements est très facile.

La soufflante que se prend Clive ne sera sans doute pas un traumatisme. Nous en avons tous subies. Et nous en donnons. Mais il y a toujours quelque chose d’amer, dans cette propension de la société à corseter des corps qui ne sont pas encore totalement appropriés.

Ou peut-être suis-je juste trop gnangnan, en ce lundi matin.

Penser, demain, à faire une blague à Clive.

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