Vendredi 23 septembre

“On enseigne une matière étrange, tout de même.”
Encore une fois, ce mot de B., ma collègue de l’année dernière, me revient en mémoire. Cette fois-ci, devant les sixièmes. Cela fait une dizaine de minutes qu’ils débattent sur la définition de ce qu’est un “monstre.”
“Donc un monstre ça doit être imaginaire.
– Ben oui mais alors est-ce qu’une licorne c’est un monstre ?
– Bah non, ça fait pas peur.
– Ça fait pas peur forcément un monstre !
– Ah oui ? Et les dragons ?
– Y a des gentils dragons.
– Monsieur, c’est quoi, alors, un monstre ?
– Je ne sais pas.”
C’est mon premier “je ne sais pas” de l’année, et il a l’impact attendu. Il est important, ce “je ne sais pas”, parce qu’il ouvre la porte au doute. Il est la première clé des analyses de texte, le bouclier contre la frustration lorsque les histoires se finissent sur une interrogation. Ce “je ne sais pas”, c’est l’entrée dans les brumes du français.
“Il existe beaucoup de définitions du mot "monstre”. Nous allons chercher celle de la sixième Laporeille. Et peut-être que ça permettra d’avancer vers la “vraie” définition, si elle existe.“
Je pense que c’est le moment le plus proche de mon délire "Cercle des poètes disparus”. Celui où je tente de faire entrer les élèves dans cette drôle de matière. Où l’on doit connaître les règles grammaticales – elles aussi si souvent élastiques – mais avancer dans le brouillard quand il s’agit de lire des textes. Le français, cette matière où, par la magie de la polysémie, le mot “monstre” devient un labyrinthe dans lequel on s’aventure, avec nos petits stylos, nos vécus et nos imaginations.
Et les yeux de ces sixièmes ont des lueurs d’exploration.