Vendredi 30 septembre

Aujourd’hui, il y avait du soleil.
Du soleil sur le visage de Gilliat, quand, dans le CDI, l’illustrateur de BD qui a été invité par la mairie parle de son métier et, en quelques coups de marqueur véléda, transforme un bonhomme bâton en une visiteuse de fête foraine à l’allure réjouie. Les traits de Gilliat changent, aussi. Il y a un bonheur immense, encore plus grand que lorsque je lui permets de distribuer les photocopies ou lorsque je lui donne le plus grand rôle dans les textes de théâtre. La chaleur transperce le froid dans lequel je marine depuis ce matin.
Du soleil, aussi, dans les mot d’Irya.
“Monsieur, pourquoi on fait le début de la tirade des "Non merci”, de Cyrano en dictée ?
– Vous avez un autre texte en tête ?
– La fin.
– Pourquoi ?
– Ben parce qu’elle est plus faci… entame Yanis, avant d’être coupé par sa copine.
– Parce que c’est plus optimiste ! Vous venez de nous dire que c’est mieux de se reconnaître dans la fin du texte que dans le début.
– Ça n’est pas DU TOUT parce que c’est plus facile, comme le disait Yanis ?
– Bah si. Un peu.
– Allez. Si l’une ou l’un d’entre vous arrive à me le réciter avec suffisamment de conviction, je vous donne la fin du texte en dictée.“
Alia lève la main. Depuis le début de l’année, Alia fait d’inaudibles commentaires à ses voisins. Elle a tout le temps l’air de se marrer, mais refuse de partager cette joie avec moi, si ce n’est à travers des travaux immanquablement impeccables.
"Vous voulez essayez ?
– Oui.”
Alors Alia prend le texte, et de la voix de cette jeunesse que je suis heureux de ne plus posséder pour pouvoir en être témoin, elle commence. Ils auront ce texte, bien sûr que c’est celui-là qu’ils auront :
“Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !”