Mardi 4 octobre

“Monsieur, monsieur !”
Il est entré sans frapper, un petit gars, que je n’ai jamais croisé dans la cours de récréation. Je lève les yeux du document que je suis en train d’expliquer à Raura. La liste des fournitures à apporter pour le voyage scolaire. Là, je mimais un pyjama, parce que je ne parle par l’érythréen, et elle ne connaît pas encore ce mot en français.
“Monsieur, il y a un oiseau dans votre salle !”
En effet, il y a un oiseau dans ma salle. Un bec rouge et des plumes marron, je ne suis pas assez calé en ornithologie pour en trouver le nom. Il est perché sur le dossier d’une des chaises. Et mon cœur fond comme un camembert méditerranéen lorsque je m’aperçois qu’il a le bec ouvert. Le piaf est à bout de souffle, terrifié. Derrière l’élève inconnu, tout une tripotée de mômes, tout aussi anonymes.
“Sortez. Il ne faut pas lui faire peur.”
Alors nous sommes trois. Raura, qui observe, médusée, la scène, avec un sourire presque ravi sur les lèvres. Le petit gars, qui a refusé de partir. “Non, je vais l’aider !” Et moi. Plus du tout Monsieur Samovar, pour le coup. “Eh ben petit pépère ? Qu’est-ce que tu fais ici ?” Le même timbre que lorsque, l’année dernière, j’ai recueilli Dune-le-lapin sur un parking. Un timbre qui ne résonne jamais, jamais dans les couloirs d’un collège.
On manœuvre maladroitement. Trois êtres. L’un qui ouvre en très grand toutes les fenêtres, l’autre qui tente de rabattre le petit être en plumes vers l’extérieur. Et l’autre qui observe, en silence. On ne se parle pas. Enfin, moi si. Comme d’habitude. Mais juste à l’oiseau, rien qu’à l’oiseau. Les deux autres humains, je n’en n’ai pas besoin. On est ensemble là-dedans. À deux reprises, il y a un envol, entravé par les vitres qui ne peuvent pas s’ouvrir, j’en suis au bord des larmes, et même mon surconscient ne parvient pas à articuler que c’est tarte.
Et puis la troisième fois. Un premier virage on retient notre souffle et
“Ouais !”
Il est dehors. Il est sauvé. Il est, en tout cas, de retour à un environnement qui est le sien. Le ciel.
On se regarde. On se rappelle qu’on est prof et élève.
Raura, la première, range son papier.
“J’explique à papa ce soir, les vêtements.”
Le petit gars descend lentement avec moi, jusqu’à la cantine. Il ne répond pas tout de suite aux AED, qui lui demande pourquoi il est en retard. Et à la troisième fois.
“Je sauvais un oiseau.
– Tu le coursais ?
– Non ! Non c’est pas vrai, je l’ai sauvé, demandez au prof !
– C’est vrai. Il a sauvé un oiseau.”
(photo pas vraiment de l’oiseau mais un peu quand même.)