Vendredi 7 octobre

Vendredi soir, avec les quatrièmes Roselia. Dernière heure de la semaine pour eux et pour moi, on a déjà une première heure de français dans les pattes.
Donc, on fait un truc un peu rigolo : interpréter des tirades de Cyrano. “On les apprend par cœur ?” Ils ne sont pas obligés. Mais c’est vrai que ce livre dans les mains, c’est pas évident. La plupart apprendra par cœur. C’était tenté un peu comme ça mais ça fait plaisir. Luis, qui déteste le bouquin et m’avoue qu’il a failli dormir lors des extraits du film, se retrouve à lancer des “Moi c’est moralement que j’ai mes élégances” d’une puissance à faire trembler les murs. “Ah ouais, quand on dit MORALEUHMENT, ça le fait beaucoup plus, monsieur.” Amina griffonne des Roxane aux yeux immenses tout en apprenant une partie de la déclaration de Cyrano “Je veux que ce soit malaisant monsieur, attendez, il se rappelle de la coiffure de sa cousine pendant un an !” En silence, Anna marmonne la tirade du nez.
Je me balade de table en table. Je fais le clown pour faire rire les plus timides, celles et ceux qui ne passeront pas “devant tout le monde, juste devant vous à la récré, monsieur !”
Et puis, trois personnes entrent. Je descends précipitamment de la chaise sur laquelle je suis monté, histoire de montrer une idée de mise en scène. La CPE, l’intendant et le principal. Discours sec. Des mômes se baladeraient avec des objets dangereux dans leurs sacs. Armes ? Stupéfiants ? D’après les rumeurs de la cours de récréation, ce serait des couteaux, mais rien ne sera confirmé.
Pendant et après l’intervention, les visages des quatrièmes Roselia change. Comme si un éclairage différent dévoilait une autre partie du tableau. Des sourires complices, des regards entendus. Marrade silencieuse. Et même une fois le cours repris, il n’y a plus de magie. On finit par ranger les bouquins, parce qu’on avance plus, et on termine sur les révisions du contrôle de la semaine prochaine. Ils partent sans un regard. Même les trois élèves qui, depuis que je leur ai promis de les aider à fonder un club jeux de rôles, ne cessent de venir me parler des idées qu’ils ont pour des personnages imaginaires.
Peut-être, sans doute, que je vois cette classe avec des lunettes trop roses. Ou qu’ils font semblant. Ou peut-être – j’aimerais bien – que c’était vrai, et que pendant ce cours de français, il y avait quelque chose d’agréable, pour eux et pour moi, qui se passait.
Mais c’est tellement, tellement fragile, face à ce qu’il y a hors de la salle 101.