Mercredi 12 octobre

Ce n’est presque plus mercredi, et le premier moment de solitude que ce voyage scolaire m’accorde.
Premier jour de voyage, donc. Et immense randonnée, avec tout un tas de petits êtres de sixièmes. C’est difficile. Le sentier monte, et les rocailles glissent sous les pieds, les traîtresses. À peine vingt minutes plus tard, les habituelles protestations se font entendre : “C’est trop dur !” “J’ai mal aux pieds !” “On arrive quand ?”
On arrive dans trois heures.
Pour rendre le chemin supportable pour eux et pour ne pas basculer dans la folie, je tente de les faire rire. “Allez, on ne se décourage pas, on avance ! Qui va être le roi des pirates ? Le premier qui sera arrivé au bout du cap, c’est là que se trouve le One Piece !”
Et monter, redescendre, monter, redescendre la petite colonne, pour les motiver. Suivi par Tyrael, qui a mille questions à me poser : mon fruit du démon préféré, mon livre préféré, mon phénomène paranormal préféré, ma moto préféré. Il s’interrompt toutefois très poliment quand je parle avec quelqu’un d’autre. Et comme à chaque fois, je reste fasciné de cette facilité des sixièmes à raconter leurs terribles histoires de famille de façon très sobre, et souvent en rigolant, que ce soit un rendez-vous chez le juge ou un placement en famille d’accueil.
Heureusement, Raura met un peu de soleil là-dedans. Raura, qui voit la mer pour la première fois. Et qui s’extasie devant chaque paysage. Elle a les poches pleines de cailloux et de paysages. Et surtout, depuis trois heures, son mécanisme d’apprentissage de la langue fonctionne à plein régime. Elle s’exprime en français avec plus d’aisance que jamais.
Aisance qu’à Sol. En dévalant les cailloux, mains dans les poches, il affecte de me parler, d’un ton blasé, des vieux rockeurs qu’il admire. Que ses parents admirent ? “Non, mes parents sont plus électro. Moi j’aime ACDC.” Il est heureux de cette culture qu’il se construit.
“Je n’aime pas les enfants.” Il me faut toujours un moment pour comprendre pourquoi on me regarde étrangement quand je pose ce verdict. Et puis je me souviens. Et j’explique.
“Rien à voir. Je n’aime pas les enfants mais j’adore les individus.”
Passer la journée avec soixante-sept petits individus.