Jeudi 20 octobre

Ulrich n’aime pas le français. Il le répète à n’en plus pouvoir. Et je le crois. Je ne sais pas si c’est le fruit de l’expérience, mais on finit par comprendre, quand on est prof, à quels élèves la matière est hostile. Et en effet, les copies qu’il rend sont laborieuses. Pleines d’efforts. Mais tombent systématiquement à côté de ce qui est demandé.
Ulrich, de toutes façons, aimerait bifurquer rapidement vers la voie professionnelle. Mais ça n’empêche qu’il prend en pleine face ces moments où ça ne se passe pas bien.
En fait, je pense qu’il aimerait aimer le français. Comprendre cette étrange matière où l’on se penche sur des vivants sans entrailles, des époques révolues, où l’on se tarabuste la cervelle sur un -e placé à la fin d’un mot. Parce que jamais il ne renonce.
Jusqu’à la scène de Cyrano qu’il a passée aujourd’hui. Sur les dix-sept qui se sont produits, il était l’un des quatre à avoir appris son texte par cœur. Il avait souligné tous les mots sur lesquels je lui avais suggéré d’insister. Sa voix tremblotait mais tremblotait au volume que je lui avais demandé de mettre. Il a rempli l’intégralité du contrat.
“J’ai pas aimé ça.” lâchera-t-il en fin de prestation, aussi épuisé que si ce sportif notoire avait couru un marathon.
Je sais que j’ai tendance à surinterpréter, que je m’émeus trop facilement. Mais cette abnégation me fout au bord des larmes. Et j’espère trouver, dans cette foutue matière que j’enseigne, un endroit où il puisse, ne serait-ce qu’un peu, s’épanouir.