Mardi 8 novembre

Il y a quelque chose de très poétique à voir les sixièmes se montrer aussi heureux à étudier le récits des origines du mondes dans Les Métamorphoses d’Ovide. Ce moment où l’on découvre que tout est déjà là, dans le Chaos. Il suffira à un dieu sans nom et sans visage d’organiser cet amas.
Cette histoire, mille fois racontée, c’est aussi la leur. Bien sûr, toutes et tous changeront, à multiples reprises. Mais tout est déjà là. Et c’est sans doute ce qui rend le collège aussi compliquée et aussi passionnant. Avant l’Apocalypse de l’adolescence, il y a le Chaos du collégien.
Dans leurs traits, leurs voix et leurs désir, point déjà les jeunes personnes qu’ils deviendront dans quelques années. Si près, si loin. Ces mômes sont adorables et insupportables, géniaux et pénibles. Tout coexiste, parce que rien n’est encore déployé.
Et là où c’est la magie, là où il y a un miracle, c’est lorsque l’on voit ce tissu d’existence commencer à se déployer, à se défroisser. Comme dans le club de jeu de rôles. Mes joueurs débutants ont passé deux séances à faire n’importe quoi. À tout casser dans le manoir d’une châtelaine très patiente, à parler les uns sur les autres. Et la troisième fois, ils s’écoutent. Se suivent, acceptent que l’une prenne le dessus, avant de passer la parole à un autre. Ensemble, ils commencent à tisser une histoire commune. Et alors ça devient beau.
La magie, c’est quand ils analysent un texte, et qu’ils veulent arrêter “parce que c’est ennuyeux.”
“Pourquoi c’est ennuyeux.
– Les mots sont compliqués.
– Tout le temps ?
– Je sais pas.
– Montrez-moi où les mots sont compliqués.
– Je suis obligé ?
– Oui.
– Ben. Euh… Pas là. Pas là. Ah ! Là ! Et là ! À chaque fois que l’héroïne parle en fait.
– C’est bizarre, ça, que ce soit toujours quand ce personnage-là parle.
– J’avoue. Comment ça se fait ?”
Et petit à petit, le chaos de lettres s’ordonne dans le chaos de leur cervelle.
Tout est déjà là. Si ce boulot d’éducateur est aussi fatigant, aussi compliqué à expliquer à l’extérieur, c’est parce que nous y sommes plongés en permanence. À poser des jalons, prudemment, patiemment.
Pour que, sans nom et sans visage, tous ces humains deviennent la pensée qui ordonne leur Chaos.