Lundi 14 novembre

Dans un épisode de Doctor Who, l’un de ceux où iel se régénère, cette phrase :

“Je vais chercher ma récompense.”

Et il (c’est l’une de ses nombreuses incarnations masculines) parcourt la Terre pour se réjouir des vies qu’il a touchées, changées pour le meilleur. Il arrive de temps à autres que la vie de prof ressemble à cet épisode de Doctor Who. C’est aujourd’hui par exemple.

Ça ne commence pas très bien. Trois élèves de la sixième dont je suis prof principal arrivent pour m’expliquer qu’il y a, depuis le retour des vacances, pas mal d’insultes parmi les classes.

“On est désolées, on veut pas faire d’histoires. Mais on a pensé à ce que vous avez dit on veut être… gentilles.”

C’est un mot qu’on a pas mal abordé en vie de classe. Ce mot “il rend fort”, leur ai-je expliqué. Être gentil avec les autres, avec soit. Commencer à être juste. Les filles sont embêtées, elles ne dénoncent pas, mais expliquent précisément. Sans cette espèce de sensationnalisme, fréquent – et explicable – à cet âge. La situation est glauque. Mais leur réaction face à celle-ci tellement puissante.

L’épisode se poursuit avec les cinquièmes, qui doivent rédiger une critique d’un bouquin dans le cadre d’un défi lecture. S’ils ont aimé les œuvres, donner leur avis dessus a été plus que laborieux. Leurs premiers brouillons étaient des catastrophes. Des trucs moches, traduisant leur manque d’envie. Je les ai tannés toute la semaine. Et ils reviennent aujourd’hui avec des textes courts, bien courts, mais structurés. De vrais arguments, personnels.

“En vrai c’est bien, ce que j’ai écrit.”

Il y a souvent, en cinquième, cette tentation de tomber dans le travail médiocre, pas joli, mal présenté et vite fait. Là, je les vois heureux de ces petites miniatures. Les mômes en vrac sortent en souriant. Beaucoup plus sereins que d’habitude.

Pas trop le temps d’épiloguer, je dois me dépêcher d’aller manger, le lundi, j’anime le club de jeu de rôles. Et mes vaillants aventuriers de quatrième et de troisième passent une bonne demi-heure devant une calèche, à se disputer sur qui monte à quelle place, est-ce qu’on met quelqu’un à côté du cocher, ou sur le toit… Je finis par piquer un fou-rire nerveux devant des gamins médusés.

“Eh monsieur, en vrai ce que j’adore, c’est qu’on est complètement différents quand on joue, et vous aussi. Et apprend on redevient nous.”

J’ai mangé en quinze minutes mais ça valait le coup.

Et l’après-midi se terminera par une heure durant laquelle Djamila se bat avec les adjectifs. Djamila est une guerrière, absolue. “J’ai besoin de comprendre.” Elle le répétera plusieurs fois, dans l’heure. Son français encore vacillant et ses béances de vocabulaires, elle les traîne derrière elle sans jamais se plaindre. Elle ne me lâche pas, ça brûle dans son regard. “L’adjectif il est où ? "Action” ou “méritoire” ? Ça veut dire quoi ?“
Elle refuse la plupart des aménagements que je lui propose. Mais sans jamais préjuger de ses forces. C’est une tension permanente. Je ne sais pas ce qui anime cette envie dévorante de réussir – en sixième, c’est toujours très confus – mais bon sang cette volonté est d’une puissance folle.

C’est une journée bardée d’éclairs. J’enseigne à de tous jeunes mômes, l’année prochaine je ne serai plus là. Aucun moyen de savoir si, à long terme, ces fulgurances perdureront. Mais en attendant, je profite de cette orage de volonté, d’intelligence, de force et, ah oui, de gentillesse.

(Image tirée de Doctor Who)

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