Mardi 15 octobre

Mathilde Loisel s’est répandu en fragments dans l’ether de la salle 101.
C’est l’un de ces cours “que je fais toujours”. Et pourquoi pas, parce qu’il fonctionne, qu’il continue à m’intéresser, et révèle toujours des inconnus fascinants chez les élèves de quatrième : inventer la suite de la vénérable nouvelle de Maupassant “La Parure”. Pour ceux qui y ont échappé au collège, il s’agit de l’histoire d’un couple, les Loisel, perdant un bijou de prix qui leur a été prêté, condamné à le rembourser dix années durant. Avant de se rendre compte que le bijou en question n’était qu’un faux.
Comment réagit-on quand ce qui constitue le martyr et la fierté de dix ans de votre vie s’évanouit en fumée ?
C’est à cette question qu’ils répondent. Et pour cela, ils ont besoin d’aide. Les quatrièmes Rosélia ont énormément de mal à écrire. Il faut donc les aider. Ils sont heureusement peu.
Le plus important, c’est de trouver ce qui, dans leur brouillon de cinq lignes (“j’ai plus rien à dire monsieur !”) va constituer leur histoire rien qu’à eux. Leur Mathilde.
“J’adore que votre histoire répète un peu la même chose que la nouvelle. Comme si c’était un cycle. Et si Mathilde prêtait un objet à quelqu’un, qui le perdrait de son côté et le remboursait ?”
“Vous ne parlez que de la tristesse de Mathilde. C’est ce qui est intéressant. Des tas d’autrices et d’auteurs ont écrit des livres entiers sur un sentiment. Voyons voir comment on peut en dire plus.”
“D’accord, Mathilde veut se venger, et devenir chef de gang. Elle a été femme de ménage. Imaginez ça : elle commence à remarquer toutes les employées de maison maltraitées et leur propose de s’allier. Qu’est-ce que ça donnerait ?”
Et ainsi de suite. Le but, c’est de leur confectionner leur bureau d’écrivain. Sur mesure. Écrire deux lignes, écrire trois lignes, mais écrire quelque chose qui leur convienne, qui soit eux. Et donc qui soit beau. On avance mot à mot, tout doucement. Il y a des choses qui se débloquent. Pas les mêmes, pas autant. Mais chez tout le monde. Et Mathilde, les fragments de Mathilde, deviennent autant de silhouettes. Mathilde son pistolet à la main, Mathilde devenue vendeuse de légumes, enquêtrice, femme politique.
Les quatrièmes tressent leur parure de mots.