Mardi 22 novembre

“On est la pire classe que vous avez jamais eu ?”

La question revient, très fréquemment. Pas tous les ans mais presque. Et souvent à la même période, lorsque la lumière faiblit et que les nuits s’allongent. Les mômes fatiguent. Commencent à se rendre compte que l’année va durer longtemps, qu’il va falloir se cogner ces profs, ces camarades, ce boulot pendant encore sept mois. Ça et l’intégralité de leur vie personnelle.

Alors ils se renfrognent. Laissent apparaître des côtés désagréables ou laids. Comme les adultes, en fait. Et lorsqu’on les sermonne, qu’on les admoneste, ou tout simplement, comme aujourd’hui, qu’on leur fait part de notre inquiétude, la question arrive, très facilement :

“On est la pire classe que vous avez jamais eu ?”

Et ça n’est pas une question facile. C’est un piège un multiple détentes, un attrape-souris version prof, un attrape-profs, quoi.

Parce que notre “oui”, excédé, ils l’attendent, avec une certaine gourmandise. Antigone aux collèges, ils se disent que comme ça, au moins, il n’y aura plus d’espoir, le sale espoir. Et puis que ça leur permettra aussi de ne plus se décarcasser à progresser. À faire preuve de curiosité, de gentillesse ou d’empathie. C’est facile pour une classe, toute une classe, de devenir cette masse grisâtre et juste vaguement hostile. “La pire classe.”

On ne peut pas non plus se contenter de lever les yeux au ciel, comme je l’ai trop souvent fait. Ça n’est pas qu’une provocation.

“Pourquoi ? Vous aimeriez être la pire classe ?”

Ne pas y passer trop de temps. Juste ce qu’il faut pour leur faire comprendre que oui, c’est compliqué. Qu’ils ont le droit d’être haïssables, que c’est humain, mais que ça ne doit pas les ronger.

Peut-être, sans doute, ai-je tort. Peut-être ne devrais-je pas y prêter attention. Mais ce truc de la pire classe, il ressemble très fort à un appel au secours, même avec ce sourire sarcastique, même avec le regard veule qu’ils peuvent avoir, les collégiens, quand ils cherchent le conflit.

Je n’ai absolument pas confiance en moi. Mais en eux, après quinze ans de boulot, absolument. La pire classe. Ce sale fantôme crasseux et pesant, que je ne désespère pas de leur virer un jour de la cervelle. Histoire de faire rentrer de l’air pur, de la grammaire et de la poésie.

Laisser un commentaire