Vendredi 9 décembre

“Monsieur, on peut faire le classement des profs qu’on n’aime pas ?”

Katrina me regarde très placidement derrière ses lunettes rondes. Et en cette heure de vie de classe, je sens la sixième dont je suis prof principal frémir.
Les mômes sont tout sauf idiots. Ils sont conscients de l’énormité qui vient d’être proférée. Mais ils veulent voir. Ils veulent voir si, jusqu’au bout, je reste dans mon image du prof trop gentil ou si je vais enfin sortir de mes gonds.

La caféine ingérée en trop grandes quantités ce matin m’offre une échappatoire. Je tente la sincérité.

“Je suis un peu mal à l’aise que l’on parle de personne qui ne sont pas là. Vous n’aimeriez pas qu’on fasse ça pour vous.”

Katrina cesse de soutenir mon regard. Et aussi calmement que je le peux, j’ajoute :

“Et surtout, je voudrais savoir : pourquoi voulez-vous faire ça ?
– Je…”

Aucune agressivité dans mon attitude. Je tente, de toutes mes forces, de leur tendre un miroir. Leur montrer que, de temps en temps, et oui, ils sont laids. Et c’est absolument normal. En tant qu’humain, en tant que préados en pleine face de test, il leur arrive de se montrer vils. Et cette vilenie, j’ai désormais choisir de lui adresser un vague signe, avant de la laisser dégouliner, bêtement. Hors de question de la cristalliser par une colère ou une leçon de morale. Juste lui faire sentir ce qu’elle est. Avant de passer à autre chose.

“Certains voulaient encore partager leurs points forts avec le reste de la classe. Katrina, justement ? Vous avez envie de le donner ?”

La conversation reprend. Et peu à peu, les gamins perdent leur expression de gourmandise un peu lâche. On arrive à parler de ce dont ils sont fiers, on rit un peu. Ça ne sera pas tous les jours aussi simple. Mais pour cette heure-ci au moins, ils ont accepté de rester droits. Et pour cela je les admire.

Laisser un commentaire