Lundi 19 décembre

À chaque heure, c’est un un combat.
Quand je suis entré dans ce boulot, j’ai eu l’impression que je n’y étais pas à ma place. Que je ne me comportais absolument pas comme un enseignant devrait le faire. J’ai raconté l’histoire mille fois : j’ai été sauvé par les collègues les plus merveilleux du monde. Je me suis rendu compte que j’adorais ce métier.
Mais il n’empêche que je ne suis pas à ma place. Même si rien ne me rend plus heureux qu’enseigner, je suis sans doute la personne la moins solide pour le faire.
Lors d’une heure de cours, je ne vais cesser de me battre contre mes névroses. Mon besoin de validation perpétuel par exemple : je passe mon temps à donner l’impression que je sais parfaitement où nous allons, les élèves et moi. Et lorsque je refuse de laisser plus de temps pour l’activité, de revenir sur une sanction, de ne pas les laisser “regarder un film sur Netflix, c’est Noël dans un mois, monsieur !” (sic), quelque chose en moi hurle en sanglotant que c’est affreux, que je vais mourir parce que si je refuse quoi que ce soit, on risque de moins m’aimer. C’est totalement irrationnel, je le sais, l’admets : il n’empêche que ça continue à hurler sous mon crâne façon j’ai marché sur un lego au réveil.
Ou alors ce sentiment perpétuel d’illégitimité. Qui suis-je, moi, pour enseigner la langue alors que je fais des erreurs grosses comme moi lorsque je ne me relis pas trois fois de suite ? Que j’ai l’impression au début de chaque texte, y compris Fantômette brise la glace, que je ne comprendrai rien à ce qui est écrit ?
Pour ressortir chaque jour heureux de mon boulot, il faut non seulement que je prenne soin d’elles, que je m’occupe d’eux, mais également que je mène une lutte acharnée contre ce que je suis : ce type incroyablement immature, ne fonctionnant socialement que parce qu’il a appris à revêtir d’autres masques. J’espère de toutes mes forces que ma persona de prof est suffisamment convaincante pour faire, de ceux qui viendront ensuite, des êtres plus forts, des êtres meilleurs que moi.
Parce que je le crois, c’est ça aussi être enseignant.