Lundi 9 janvier

La classe de cinquième à laquelle j’enseigne ne va pas bien. C’est le constat de tous ses profs ou presque. Ils font la tronche, se balancent des boulettes de papier, se regardent mutuellement de haut. Ils ne s’aiment pas. Je ressors souvent de cours en leur compagnie non pas épuisé, fâché ou frustré mais triste. Terriblement triste. Même ce qui peut être un ennemi commun – le prof – sert d’avantage d’outil de vengeance : “Monsieur regardez, il a pas fait son travail !” “Monsieur, elle écrit en turquoise alors qu’il faut écrire en bleu !” (oui, ils en sont là).
Nous avons essayé nombre de stratagèmes pour les aider à s’entendre. Entre les activités traditionnelles destinées à briser la glace dans un groupe, le jeu de rôles, le travail en commun, les changements de plan de classe. L’alchimie semble impossible à effectuer.
“Mettez-vous comme vous voulez.”
Ils me regardent l’air surpris. J’avais promis de faire un plan de classe, je me contente de leur donner une feuille de travail. Seule consigne : effectuer la tâche à deux au moins. Oui, ce sera noté.
Je les observe, une heure durant. Quelques duos se sont formés. Deux, c’est le maximum auquel ils parviennent. Et ils se sont tous collés à un mur, tables tournées vers celui-ci. Peu de bruit, pour une classe capable de pas mal monter dans les décibels. Ils avancent, moroses. Et sans se regarder. J’évolue, dans le grand espace qu’ils ont déserté, je contemple leurs nuques tandis qu’ils bossent dans un silence gris. Deux groupes me sollicitent, eux communiquent. Mais uniquement avec leur binôme. Pas un regard pour l’extérieur. Isolement total.
De quoi sont-ils prisonniers, ces cinquièmes.