Samedi 21 janvier

Joie, bonheur et parpaing sur le petit orteil : me voici en train de rouler matutinalement vers Alrest, un samedi matin, en évitant les plaques qu’un verglas coquinou a laissé sur la route. En effet, aujourd’hui est le jour des portes ouvertes. En effet, le collège privé du village a décidé de les faire à peu près en même temps, et la bonne vieille concurrence bretonne entre les établissements de Dieu et ceux de Cthulhu joue à plein.
Me voilà donc dans ma salle de classe, à expliquer à des parents venus en nombre ce que l’on fait au collège en sixième. “Ne vends rien, tu n’as rien à devoir vendre.” Juste tenter d’être clair. Honnête. Je refuse de tomber dans ces enchères grotesques.
Même si ça n’est pas facile.
Ça n’est pas facile parce qu’une classe de ce bahut est au bord de la fermeture. Et que si fermeture il y a, alors E., arrivée cette année, devra se taper de la route entre deux bahuts pour compléter son service. À moins qu’elle se mette à temps partiel, et perde donc une partie de son salaire. Parce que M. devra peut-être voyager entre trois établissements. Parce que C., qui dort deux jours par semaine loin de chez lui risque de perdre son poste. Je ne veux pas tomber dans le misérabilisme. Je veux rester fidèle à mes principes. Mais deux de ces collègues étaient chez moi hier soir. On a pris l’apéro, on s’est marré. Et à la fin de l’année, je les quitterai, destin de remplaçant. Mais eux, en “poste fixe” (les guillemets sont de plus en plus lourds) devront accepter de nouveaux sacrifices parce que deux parents n’auront peut-être pas trouvé le prof de français convaincant.
Il y a des samedis un peu pourris, pour de bonnes personnes.