Vendredi 3 février

“On n’a pas beaucoup d’exercices, quand même.”
Je relève un sourcil, à la Scarlet O’Hara. Les élèves de quatrième viennent de se carrer cinq exercices d’application quant à la conjugaison des verbes du troisième groupe au passé simple (l’un des trucs les plus retords de la langue française, donc).
“Il faut qu’on prenne le temps de les corriger et de les expliquer.
– Oui, mais ma mère/mon père/mon grand-père [insérer ici évocation d’un passé qui donne l’impression que cette élève ou tout autre élève est âgé de plus de soixante-quinze ans] on lui en donnait des listes de trente, monsieur.
– Vous avez envie de ça ?
– Ben non, mais c’est du français, quoi.”
Cela arrive fréquemment, chez les élèves. Ces mômes qui pourraient parfois élever la flemme au rang de sport mondial appellent de leur vœux un passé révolu, fantasmé, et souvent doloriste. Avant les profs ils étaient sévères. Avant les profs ils donnaient des milliers de lignes. Quelque chose de l’ordre de la terreur sacrée et de l’envie de se faire peur.
Et à la fin du cours :
“Monsieur, ma mère elle dit que je devrais pas lire des livres avec des images (note du transcripteur, des mangas) : elle a raison, vous croyez ?
– Vous aimez ça ?
– Oui, mais je sais pas si c’est très bien.”
Cet âge est tellement fragile, tellement délicat. Les faire accéder à la complexité des textes, de la langue française, sans céder à la facilité de brandir les listes de grammaire, de faire des auteurs classiques des Javert intransigeants. Images qui continuent à se transmettre, de génération en génération.
“Que voyez-vous sur ma table de recommandation de livres à lire, Alia ?
– Cyrano de Bergerac…
– C’est du théâtre.
– Les contes de Terremer…
– Un roman.
– Les Pleurs…
– De la poésie.
– Les mangas de Lovecraft.
– On peut tout lire. Il faut juste essayer.”
J’aimerais. J’aimerais tellement leur expliquer ce que quelques adultes merveilleux m’ont transmis : les mots, tous les mots, sont des lieux de paix.