Jeudi 9 février

“MONSIEUR SAMOVAR !
– C’est lui ! Mais oui c’est lui !”
Je tourne un regard épuisé en direction des cris. Dans le hall de la gigantesque médiathèque rennaise, un groupe de grands ados me fait signe.
“Monsieur Samovar, vous nous reconnaissez pas ?”
Le môme porte un drôle de pendentif brillant autour du cou. Il ne le portait pas en sixième. Au collège Nohr.
C’est ça.
Ce souvenir en négatif fait éclater dans ma mémoire la bulle d’ambre où sont figés les souvenirs de ces élèves. Qui ont été mes élèves. Il y a une éternité. Il y a deux ans. Le flot du temps se déverse brutalement, en quelques secondes, ces sixièmes adorables font leur cinquième et arrivent en quatrième. Je vacille sous l’onde de choc, leur souris, un peu gêné.
“Vous avez changé monsieur !”
Ah bon ? On change encore à quarante ans ? Possible. On vieillit sans doute. Eux ont énormément grandi. Je pense que ça me rend heureux, mais je n’ai pas le temps d’analyser. Il faut que je reparte avec les élèves, mes élèves. Ceux du collège Alrest, où j’enseigne cette année. On va rater le bus, sinon. Je dois donc m’en aller, après cette tempête sous un crâne, les pavés encore mouillés de flaques de ce temps percé.
“C’était vos élèves, monsieur ?”
La question de Mérédith est tout sauf innocente. Cette môme est d’une sagacité étonnante, et pose sur moi un regard perçant.
“C’était mes élèves, oui. Cette année, vous l’êtes.
– Et vous les préfériez ?”
Je lui grimace un sourire pour toute réponse. Je pourrais tenter de lui expliquer qu’être remplaçant, c’est errer de lieux en temporalités, d’histoire d’enfants en histoire d’ados. Elle ne comprendrait pas, et c’est bien normal.
Je flotte, bercé par le mouvement du bus et les échos du temps, qui à l’infini se déploie.