Jeudi 9 mars

C’est toujours un moment délicat. Celui où les môme font face à la frustration.
Aujourd’hui en sixième, nous distribuons les rôles pour la mise en scène du procès de Renart. Chacun choisit ce qui lui convient le mieux, et pour les personnages trop demandés, votes à bulletins secrets.
Et forcément, il y a des déçus.
Je marche sur des œufs. Parce que ça aussi, c’est un apprentissage : apprendre à gérer cet afflux émotionnel violent. La tentation d’effacer ce moment, de le minimiser comme un “caprice”, je la ressens à chaque fois. Mais je me mords les lèvres : parce que reconnaître la vérité de ce qu’ils ressentent, sans lui donner trop d’importance, me semble primordial.
“Bon. Vous êtes déçu. Est-ce que vous pensez qu’on peut faire quelque chose au niveau des rôles qui restent ?”
Thibault me regarde, le regard furieux. Ils n’ont jamais l’air furieux, les petits du collège d’Alrest. Sauf quand on leur refuse quelque chose qu’il voulait vraiment. Raison de plus pour faire face à ce souci.
“Moi je voulais jouer le lion.
– Oui mais le rôle est pris. (Ton définitif). Comment faire ?”
Je lui mets le problème dans les mains. Parce que ce refus ne lui est pas extérieur. Cette émotion pénible, il a la possibilité de travailler dessus.
“Aucun rôle ne me plaît.
– Alors ?
– Dans l’autre classe, Sol il m’a dit il a inventé son rôle.
– Oui. Vous avez une idée ?
– Non…
– Si vous voulez, je vous donne jusqu’à demain pour réfléchir.
– D’accord.”
Cette fois-ci c’était facile Ça l’est rarement autant. Combien il est délicat, combien il est précieux ce moment. Leur montrer que le refus n’est pas violence ou sadisme. Leur permettre de prendre contrôle de qui ils sont. Il est sans doute d’une prétention absolue de ma part de penser que je pourrais y changer quoi que ce soit.
Ça vaut quand même le coup d’essayer.