Mardi 11 avril

Les sixièmes ont filouté. En tant que prof principal, il est de mon devoir de leur faire des remontrances. Les sixièmes entrent en classe, ils savent qu’ils ont filouté, ils savent qu’il est de mon devoir de leur faire des remontrances.

“Bonjour, nous allons commencer. Je commence par mettre ma casquette de professeur principal.”

Comme à chaque fois, je mime que je m’enfonce un couvre-chef sur la tête. Deux petits rires étranglés, ce geste étant pourtant un classique. Le temps se fige et j’hésite. Comment le dire ? C’est délicat les engueulades. Délicat, parce que la tentation de faire peur, de faire comprendre que c’est nous qui avons le pouvoir et pas eux, est toujours là. C’est presque grisant. Mais ce n’est pas l’enjeu. Quel est l’enjeu, avec eux ? Ces sixièmes là, précisément ? Ces petits individus ?

Parfois il suffit de se poser la question.

“Bon, on vous l’a déjà dit, votre compétence forte à vous, c’est votre maturité.”

Les mômes retiennent leur souffle. S’accrochent à leur siège pour l’explosion. Je ne fronce pas un sourcil, mais prends mon air le plus préoccupé possible.

“Et là, on a eu un souci sur cette compétence. Le remplaçant de physique est arrivé, et vous n’avez pas réussi à lui expliquer qu’il y avait un plan de classe dans cette matière. Vous vous êtes assis comme vous le vouliez. Ça pose souci. Vous seriez arrivé en expliquant les règles, vous auriez gagné sa confiance. Là, c’est dommage, vous êtes passés à côté.”

Ce discours serait accueilli au mieux avec perplexité, au pire avec des hurlements de rire dans certaines classes. Pas avec eux. Je sais que je touche à leur orgueil. Ils sont heureux d’avoir la confiance des adultes. Et le silence absolu qui règne sur la salle me faire comprendre que j’ai touché juste.

“Vous comprenez ce que je vous dis ? Je me trompe ?
– Non… non…
– Bon. Donc comment on peut dépasser cet obstacle ?
– En s’excusant ?
– Pourquoi pas ? Je ne vais pas vous donner la solution, je sais que dans cette classe, vous saurez trouver comme faire.”

Le reste de l’heure se déroule dans cette ambiance contrite que je ne connaissais d’habitude qu’après avoir hurlé copieusement, il y a très, très longtemps. J’ai essayé de rester cohérent avec ce que nous construisons ensemble depuis le début de l’année : une relation d’estime et de confiance mutuelle ; et ça a fonctionné. C’est rare. Très rare.

Mais cette sixième me donne tellement d’espoir.

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