Mercredi 19 avril

Depuis qu’il est parvenu à le mettre en voix, tout s’est accéléré pour Léo. Changement de vêtements de coiffure. Il signe désormais ses copies de son nom, passe beaucoup de temps à parler à ses potes de ce que c’est, la transidentité… Même son écriture s’est modifiée.

Il n’y a que sa posture qui ne s’est pas modifiée. Quand il doit venir au tableau, ou simplement qu’il traverse un couloir, il continue à raser les murs, à se tenir courber, ce qui ne fait que pointer davantage son quasi mètre quatre-vingt (les ados d’aujourd’hui sont des géants.)

Et puis il y a cette répétition. On sort d’un court sur le subjonctif passé, on répète Le Cid. Léo jouera Don Sanche. Dans notre mise en scène, c’est l’un des gardes du corps de Don Fernand, le roi, ou plutôt le parrain. Je lui ai proposé, pour signe distinctif, de porter des lunettes noires. Il est recroquevillé, derrière le trône – la chaise en bois, mais c’est un trône – d’improbable lunettes de ski sur le nez. Elles glissent, n’ont rien à faire là. Lui non plus.

“Tenez Léo, prenez ça.”

Ça, ce sont les lunettes que j’ai achetées à Quiberon le week-end dernier. Elles ont des verres opaques, rond, et une monture noire et dorée. Il les prend en marmonnant, sans me regarder. Fais l’échange.

“Ouah t’es classe !”

C’est Olivia-Chimène qui vient de s’exclamer. Je tends mon téléphone à Don Sanche.

Qui trouve sa colonne vertébrale. C’est quelque chose que je constate, généralement en troisième ou en seconde. La posture des élèves changent. Ils découvrent leur point de gravité, et ça fait tout. D’adolescents, ils deviennent de jeunes gens.

Et là, j’ai l’impression que Léo devient Léo.

“Regardez.”

Il se contemple sur l’écran de mon téléphone, avec, pour la première fois, un sourire franc, total et absolu.

“Hey ! Salut Léo.”

Toute la classe se met à rire. Sans moquerie. Mais parce que c’est chouette de voir Léo se reconnaître.

“Allez, on reprend. Donc Chimène et Madonna Diègue vous vous précipitez toutes les deux vers le roi, mais on ne se cogne pas comme la dernière fois ! On y va ? C’est parti !”

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