Lundi 24 avril

“Monsieur, vous avez recousu votre bouton de chemise.
– Eh oui.
– Par contre c’est pas exactement le même que les autres.”
Les élèves ont, quand ils regardent leurs profs, une vision qui feraient passer Superman pour une taupe presbyte. Le moindre détail est passé en revue, analysé, et commenté plus ou moins discrètement, en fonction de l’ambiance de classe.
Et c’est plutôt étrange.
“Monsieur, pourquoi vous mettez plus votre T-shirt Monster Hunter ?
– Monsieur, elle est où votre veste rouge ? (c’est vrai, elle est où ?)”
Je ne m’y trompe pas : quand on est contraint d’écouter un adulte le détailler du regard devient un dérivatif à l’ennui ; car non, je n’ai absolument pas la prétention d’enseigner à des élèves en permanence assoiffés de connaissance.
Si c’est étrange, c’est que j’ai très peu conscience de moi-même.
Je suis extrêmement maladroit. Je me cogne, je fais valdinguer des trucs – grand spécialiste du lâcher de Veleda en pleine explication – je trébuche. Ça n’est pas que je ne “fais pas attention”. C’est que je n’arrive pas à me concevoir dans l’espace.
Sauf quand je sens que l’une ou l’un d’entre eux me fixe vraiment. Que j’existe à leurs yeux. Là, c’est comme si Monsieur Samovar prenait corps.
C’est bizarre à dire comme ça. Mais dans ces moments-là, j’existe.