Mardi 2 mai

Il y a des paroles que l’on prononce sans y penser et que l’on regrette après coup. Pas forcément parce qu’elles font du mal. Mais parce qu’elles sont… comment dire… Inadaptées.

“C’est jouer à être quelqu’un d’autre.”

J’ai très souvent, jusqu’à cette année en fait, utilisé cette phrase, lorsque je demandais à mes élèves d’écrire des rédactions adoptant un autre point de vue, ou de rédiger “des textes qui nous serviront à rien pour plus tard.”

Et aujourd’hui, une sorte de mini-révolte chez les quatrièmes. Une révolte gentille, parce que les quatrièmes sont adorables. Je leur demande de rédiger un article descendant une œuvre qu’ils aiment beaucoup, à la manière de Lucien de Rubempré chez Balzac. Ils se mettent – tellement respectueusement que c’en est presque drôle – en colère.

“Mais on n’a pas envie ! C’est horrible !
– C’est pour faire comme si vous étiez journaliste dans le roman.
– Mais on veut pas être journaliste dans le roman !”

Le moi d’il y a quelques temps les aurait morigéné pour leur manque de curiosité. Mais il y a beaucoup à réfléchir dans les protestations de cette classe placide. Et notamment ceci : ils ne savent pas, comme tous les adolescents, qui ils sont. Pas encore. C’est normal, c’est peut-être même plutôt encourageant. Alors quand ils jouent un rôle, ils veulent que ce soit rassurant, beau et vrai. Leur travail sur Le Cid en est la preuve : ils ont passé énormément de temps à choisir le personnage qu’ils interpréteraient. Parce que pour eux, ils sont ce personnage. Passer la peau d’un être déplaisant n’a rien de cathartique ou de libérateur pour eux. Pas encore. Ils sont suffisamment occupés à former leur individualité pour aller en explorer d’autres. Alors quand le prof leur propose de jouer quelqu’un qui leur est totalement étranger…

Je finis par renoncer. On rédige ensemble le blâme d’une œuvre à laquelle ils sont indifférents. C’est moins intéressant – pour moi – mais ils participent tous. Et posent de petites briques dans la construction de leur esprit.

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