Jeudi 14 septembre

“Il a mis sa chemise Pikachu.”
Je n’aime pas trop quand les élèves parlent de moi à la troisième personne, même pas discrètement en plus. Quel que soit l’établissement, ça arrive.
Ça n’est pas que ça me met en colère, c’est que ça renforce cette règle tacite, ce mur entre nous et eux. Les élèves et les profs.
C’est bon, c’est sain que cette séparation existe. Ils ont leur vie et nous la nôtre. Mais il existe aussi un espace de cohabitation. Qui fait que je me permets d’intervenir quand je les entends parler de moi à portée d’oreilles.
“Oui, son T-shirt Sailor Moon était au sale.”
Rires gênés. Et puis qui se détendent peu à peu. On est en train de s’apprivoiser. Tous les ans, c’est pareil. Il faut trouver cette frontière fluctuante et capitale, autour de laquelle nous organiserons notre espace commun, le no man’s land dans lequel nous pourrons communiquer, et travailler. Ça implique de donner des gages : se montrer solides dans ses savoirs, rassurants pédagogiquement mais aussi humainement.
Et s’intéresser à eux. Juste un peu.
Ce serait tentant, reposant même, de leur être indifférent. Surtout au lycée, surtout avec des élèves qui ont envie de réussir. Arriver, faire son cours, se barrer.
Parce que c’est crevant, en fait. De chercher, dans les cent cinquante élèves que je croise quotidiennement cette année, le territoire dans lequel nous pouvons nous rencontrer. Que ce soit à travers une passion commune pour les figures de styles, quelques blagues, une admiration réciproque… Mille modalités possibles, qu’il faut chercher. Et déjà, faire des cours, c’est compliqué. Et déjà, communiquer avec les gens que l’on choisit, c’est compliqué.
Alors des élèves…
Mais c’est ça qui permet de résoudre cette équation humaine, me concernant. Je n’arrive pas à faire autrement. Trouver, pour chacun d’entre eux – si ça marche, ça ne marche pas toujours – ce terrain d’entente. Se discipliner à avoir le cœur assez grand pour chacun d’eux.
Je suis épuisé.
Mais ça valait le coup.