Samedi 14 octobre

Coup de téléphone de T. On discute, comme souvent, de la différence entre être prof en région parisienne, là où nous nous sommes connu, et dans des endroits plus calmes. Comme la Bretagne, où j’ai atterri.

« Ce doit être un peu moins évident de trouver du sens à ton métier, là où tu es maintenant, non ?
– Non. »

La réponse a jailli sans réflexion. J’ai presque failli ajouter « quelle drôle d’idée », mais nous ne sommes pas dans une pièce de théâtre. Si je me pose des centaines de milliers de questions sur ce métier, celle du sens n’en fait pas partie. Je ferme les yeux pendant que T. continue à parler. Je ne sais pas si c’est ça, la synesthésie, mais sous mes paupières, se déploie comme un réseau de filaments dorés : les premières, que je tente d’amener au bac de français, ces deux élèves, ne pouvant physiquement pas s’exprimer en public, pour qui je cherche des sentiers de traverse. Aliosha, hyper pertinent, son collier de fausses perles autour du coup, mais toujours isolé dans la classe. Les heures de trou à combler, pendant lesquelles, parfois, je vais courir avec un collègue.
Les cours de fin de semaine, où ils angoissent à l’idée de louper leur car scolaire et où ils ont deux heures de sport dans les pattes. La nécessité de leur faire aborder des concepts de plus en plus complexes, à 36 par classes, sans abandonner qui que ce soit.

L’année dernière, les mômes adorables et tellement motivés.

L’année précédente ceux qui étaient perdus et voulaient réussir.

Non. Le sens n’est pas un problème.

Même en ces jours où l’ombre mâche et bave sa bile infâme sur ma profession, ces filaments dorés continuent à se déployer. Ça n’est pas de l’espoir, ou une croyance. C’est juste le fait que l’on a des vies entre les mains. Tous les jours.

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