
Je reçois très mal l’agressivité des autres.
J’ai beau me raisonner, me dire que je suis un grand garçon et que ça n’est pas parce qu’on me parle avec un mot plus haut que l’autre que l’on veut incendier ma maison et kidnapper mes lapins, rien à faire, je manque de défaillir à chaque fois.
Autant vous dire que quand on est enseignant, c’est compliqué. C’est d’autant plus compliqué que mon mécanisme de défense contre ça est la mise à distance totale. Ce qui est un problème pour Tanith.
Tanith passe son temps à protester. C’est trop compliqué, ça n’est pas clair, trop de travaux sont évalués. Et toujours avec cette voix boursoufflée de colère, toujours au moment où le reste de la classe est concentré. Et dans ce cas-là, je ne parviens pas à répondre autrement que par des explications froides, tranchantes, ou des silences que j’espère éloquent.
La vérité est que je flippe. Que le souci vienne davantage de moi que d’elle. Toujours cette crainte de me réveiller et de me rendre compte que oui, je fais n’importe quoi. Que je déconne sévère et que mes élèves sont les premiers à en souffrir.
Le soir même je corrige une copie de Tanith. Et ça me frappe. Les réponses sont sur-rédigés, sur-justifiées. Et je bougonne de n’avoir pas compris l’évidence : elle flippe. Elle vient d’entrer en seconde, elle est une « élève moyenne » (elle me l’a dit dix fois en trois mois), elle a peur de ne pas avoir sa place dans ce lycée dont on entend si souvent qu’il est un lieu privilégié. Moi qui passe mon temps à gloser sur le fait que lorsqu’on parle aux autres, on parle avant tout et surtout de soi…
Astuce de débutant : tu n’es pas le centre d’attention de tes élèves. Le plus souvent, une victime collatérale. Même si ça fait mal à ta fierté, ils construisent avant tout leur histoire. Et parfois, te griffent sur leur passage.