
Les jours de vacances passent, les copies également. Et s’il y a quelque chose que m’apprennent ces centaines de pages que je suis en train d’annoter, c’est que l’on peut errer sur les vagues de la langue française que l’on soit au collège, au lycée, que l’on ait eu la chance de naître dans une famille aisée socialement et matériellement ou dans la difficulté.
Ce qui se détache de chacun des paragraphes qui m’a été rendu, c’est que la langue écrite n’est pas la première langue de la plupart de mes élèves. Nombre de phrases sont des décalques de tournures que j’ai utilisées depuis le début de l’année. Les connecteurs logiques se fracassent les uns contre les autres, et les idées se brouillent derrière une syntaxe en vrac.
Comme à chaque fois, me revient la phrase du bon vieux Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. » C’est un cliché mais il n’y a pas à en sortir de là. Les phrases ne sont pas chancelantes parce que « aujourd’hui, les jeunes ne savent plus parler », mais parce que, pour l’instant, les règles du jeu que je leur apprends ne leur appartiennent pas. Alors ils imitent, ils tentent de copier. Souvent maladroitement. Et pourtant, on sent derrière ces palimpseste des efforts qui me font presque mal au cœur.
C’est la raison pour laquelle je prononce, plusieurs fois par jour, ma phrase signature : « c’est bon, tout le monde comprend ? »
Je formule mal. Ce que j’aimerais demander c’est « tout le monde réussit à faire entrer ça dans sa logique, dans son système de pensée ? Les mots que j’emploie ne vous sont pas trop étrangers ? Vous arrivez à les faire entrer dans votre monde, dans votre système de langage ? » Mais comme je n’ai pas le temps qu’ils me prennent pour un azimuté, j’évite.
Mais finalement, ça revient à ça « être professeur de français » : faire en sorte que les mots soient à eux.
Si je réussis ça, j’ai gagné.
Je me retrouve dans ton constat. Et je me dis que cette imitation maladroite est le début de l’appropriation et surtout la conscience qu’il est à présent nécessaire que leur langage évolue. C’est un début. C’est déjà ça.
Tu as raison. Et je pense que c’est l’une des grandes frustrations de ce métier. J’ignore toujours si, à la fin de l’année, j’ai réussi à leur donner les clés de ce langage ou juste développé leurs talents d’imitatrices et d’imitateurs.