Jeudi 14 mars

C’est en enseignant Phèdre aux élèves que je me suis réconcilié avec Oenone. Jusque là, ce personnage était pour moi l’horrible méchante, celle par qui le malheur arrive. Je l’avais moi-même découverte en seconde. Et depuis, je vouais une haine sans merci à cette femme de fiction, dont ma prof de français avait parlé en termes bien moins aimables.
Et cet après-midi, à ma huitième heure de cours, j’emploie des termes beaucoup plus mesurés. Parce qu’à force de retourner les mots entre mes doigts, pour tenter de les expliquer aux élèves, à force de tourner autour du texte de Racine pour comprendre comment les y faire entrer – c’est encore globalement un échec – j’ai compris quelque chose. Quelque chose que je leur dicte, en conclusion, en ramenant les bras vers moi. Que les personnages de cette tragédie ne sont pas les jouets des dieux, mais de leur vision de la réalité. Que les histoires individuelles s’affrontent, et que la tragédie provient d’eux, qu’il n’y a pas de dieux responsables. Pas de méchants (je ne dis pas « méchants », je dis « antagonistes »). Que ces personnages sont libres, et que cette liberté les condamne.

J’ai peur de les perdre encore une fois, j’en perds probablement beaucoup.

Mais je pense que j’ai besoin de me le dire aussi à moi. Pour me laver de cette représentation un peu laide que j’ai eu d’un personnage de fiction pendant presque trente ans. Pour entendre que ce que j’enseigne est à la fois futile et essentiel.

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