
Dans le groupe WhatsApp des enseignants de français, c’est l’angoisse, pour la répartition de l’année prochaine. Il y a dans le lycée d’Agnus une classe à option notoirement compliquée pour ce qui concerne l’enseignement du français. Les élèves ne se sentent absolument pas concernés, ayant à peine besoin d’assurer le minimum au bac, pour poursuivre le parcours qu’ils ont en tête. Leur classe devient un peu le Mistigri que se refilent les collègues.
J’hésite un instant à lever le doigt en disant que si jamais je suis encore là l’année prochaine – les chances étant à peu près aussi élevées que je me mette à jouer du bombardon – je veux bien m’en occuper. Je me mords virtuellement la langue, d’une part parce qu’il faut que j’arrête de me compliquer la vie, d’autre part parce qu’il serait bien urbain de ne pas compliquer la vie du ou de la collègue TZR qui me succédera.
Mais le fait est que je me pose la question.
Depuis trois ans, j’enseigne à des classes qui ne me posent que peu de problèmes, que ce soit au niveau du travail ou de la discipline. Suis-je devenu comme un sportif qui ne s’entraîne plus, et qui serait incapable de reproduire ce qui était jusqu’alors de l’ordre du réflexe ? Ai-je perdu quelque chose, en quittant la région parisienne ?
J’ai conscience que c’est une question bien étrange à se poser. Que ce n’est pas en ces termes que je dois réfléchir. Quand bien même. Je suis attaché à ma persona d’enseignant. À cette créature qui a été capable de faire face à des loulous pas toujours amène, voir même à de futurs adultes franchement hostiles. J’en, oui, je n’ai pas peur de le dire, tiré une certaine fierté.
Mais peut-être, en perdant ces compétences-là, en ai-je appris d’autres. Peut-être, au fond, le plus important, est d’être capable d’abandonner ce qui n’est plus nécessaire aux mômes pour leur fournir ce dont ils ont besoin. Voilà où se trouve l’essentiel.