Lundi 27 mai

NB : Je vais bien. Comme à chaque billet, j’écris pour mettre des mots, pour prendre du recul. Quand les choses sont trop dures, je ne peux pas les coucher dans ce journal.

« C’est pas grave, hein, monsieur. »

Je lève les yeux. L’employé du Carrefour Market a l’air à peine plus âgé que mes élèves. Il me regarde de l’air tellement touchant des personnes qui veulent vraiment bien faire mais ne savent pas comment. Je grimace un sourire à travers mes pleurs, et désigne les poires que je viens de faire tomber par terre.

« C’est pas ça… C’est pas… Vous inquiétez pas, ça va. »

J’insiste pour ramasser. Je n’ai pas menti. Ce n’est pas cette énième maladresse qui m’a fait fondre en larmes. La micro-goutte d’eau en trop, probablement. Les fins d’années scolaires, je perds systématiquement cette capacité qui me sauve, de septembre à mi-mai : celle d’oublier. Je quitte mon établissement et instantanément, mes préoccupations gagnent, légères, un ailleurs où je les retrouve le lendemain. C’est ce qui me sauve. C’est ce qui fait que je me sens bien dans ce boulot.

Mais en ce moment je n’y arrive plus. Je ne peux plus. Photocopier les récapitulatifs de bac, réexpliquer la méthode de dissertation, me dire que je n’ai pas fait assez, pas assez bien pour aider les élèves. Je ferme les yeux et tout ce que je vois, c’est Dune-le-lapin, qui dort dans le jardin dans lequel elle a tant aimé jouer. Je les rouvre et je vois mes mains, couvertes de zébrures rouges. Je somatise toujours sur la peau. Jamais de la même façon.

Mais ça va.

Il faut juste se redresser, doucement, pas après pas. « Avoir une vision surplombante. » Je ricane intérieurement, c’est ce que je dis toujours aux élèves. Se mettre à distance. Parce que, comme le dit Willow dans Buffy, les choses font moins peur quand elles sont loin.
C’est le joli mois de mai – le joli moi de mais – où les fardeaux se font pesant. Mais où on continue, jusqu’à la ligne d’arrivée. Parce que c’est à ça qu’on s’est engagé, parce que les mômes comptent sur nous même s’ils ne le savent pas. C’est bientôt la fin, c’est bientôt la vie qui continue.

Une réflexion sur “Lundi 27 mai

  1. je voudrais vous remercier, simplement, pour ces quelques minutes entre parenthèses que vous m’offrez chaque jour…

    je vous souhaite que bientôt tout s’apaise

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