
J’aime beaucoup l’expression britannique « Read the room », « Lire la pièce ». C’est un truc que les enseignants développent, au fil des années : comprendre dans quel état d’attention est la classe, et si on va pouvoir commencer d’emblée par un cours bien velu sur les formes irrégulières du passé simple, ou s’il vaut mieux commencer par une petite activité d’écriture choupi. Avec le temps, on affine ce talent.
Mais malgré ça, il y a des jours où l’on se foire dans les grandes largeurs.
C’est le cas alors que les cinquièmes Astronelle déboulent en cours, dans un flot de décibels qui ne dépareillerait pas au Hellfest. Immédiatement, mon bedeau mental monte au tocsin, hurlant sous mon crâne « ça y est ils te testent ! Ils te teeeeeestent ! »
Ah ils veulent me tester ? Eh ben on va voir. Bim, trois carnets de pris. Pas de matos ? Sanction. Et exigence qu’ils ferment leur claque-merde, ces petits jean-foutre. Ils ne se calment toujours pas ? Ils vont gratter du cours leur mère. Hors de question que je me fasse déborder.
Les mômes me considèrent avec un regard un peu abasourdi. Et je commence à me sentir mal à l’aise. J’ai déjà agi ainsi, et le résultat avait été immédiat. Silence et concentration. Là, ça continue à s’agiter malgré les mots que je griffonne. Et, pour la première fois, ça proteste.
Le cours est dégueulasse. Je m’arrête toutes les trois minutes pour compléter la liste de sanctions, ma voix est sur ce registre sec et suraigu qui me vrille moi-même les tympans et, pire, ils sortent énervés, et sans avoir rien appris. Un sourire mauvais aux lèvres.
A., l’AESH, s’approche.
« Le cours d’avant s’est super mal passé, il y a eu des vols, ils sont sortis en ébullition. »
Et merde.
Un temps calme. Un putain de temps calme. Il n’est pas du tout certain que ça aurait fonctionné, mais ça aurait été infiniment plus approprié. Mon bedeau fait trois pas en arrière, l’air un poil confus, tandis que je le foudroie du regard. Le mal est fait, et bien fait.
Le plus marrant ? J’ai une deuxième heure avec eux, après la récréation.
En salle informatique. Ils s’assoient, toujours remuant, toujours pénibles.
Pour cette heure-là, je parviens à baisser la voix. Il y aura deux trois consignes. Douces. Pas mal de bureautique – leur niveau est déplorable – et un peu d’écriture, sur un texte qu’ils ont préparé et qu’ils aiment. Le calme se fait presque instantanément. Pas parce que je suis gentil. Mais parce que c’est ce dont ils ont besoin.
Je ne reviens pas sur l’heure d’avant. Pas de débriefing, juste la laisser couler dans les profondeurs. J’en suis responsable, je n’ai pas su lire la pièce. Pas la première fois, ni la dernière. Faut juste espérer que, la prochaine fois, je prendrai un peu plus de temps pour respirer.