Lundi 30 septembre

Premier cours avec les sixièmes Feunard, après le retour du voyage scolaire. Nous commençons par quelques minutes d’écriture. Raconter un moment très passionnant ou très ennuyeux. Les élèves sont inspirés mais, étrangement, peu parlent de leur escapade maritime. Ou alors c’est pour rappeler que non, ça n’était pas eux qui parlaient dans la chambre, à minuit. C’est plutôt les tournois de foot du dimanche, ou le type chelou qui leur a fait peur dans le quartier. Mais tous se prêtent au jeu.

Puis, suite de notre exploration de l’Iliade. Ils sont plus vifs, plus passionnés que d’habitude. Qu’auraient-ils choisi, à la place de Pâris ? La sagesse d’Athéna, en écrasante majorité, d’après un rapide sondage.
« Mais c’est pas la faute de Pâris en fait ! C’est celle d’Aphrodite !
– Ben oui mais si on avait pas exilé Pâris à cause de la prophétie, il aurait pas été là pour juger et tout ça serait pas arrivé ! »
La découverte de la prophétie auto-réalisatrice par des minots de onze ans, ça me remplit d’une fierté ridicule, et je m’en rengorge grotesquement en salle des profs.

« Tu sais, peut-être que ce serait bien de déplacer Magnus et Viki. » me confie M., l’AESH présent dans cette classe, pendant qu’on boit un café. « Je suis devant eux et parfois j’entends des commentaires racistes sur les autres de la classe. C’est comme Lelio dans d’autres cours. »

Lelio est un élève en caramel au beurre salé à mes yeux. Ça me glace d’entendre ça. Ça me glace, mais ça ne m’étonne pas. C’est comme ça tous les ans. On n’a pas, quand on est enseignant, accès à la totalité de la classe. Même quand on passe son temps à aller les voir, même quand ils sont peu. Se trouver parmi eux, c’est avoir accès à une autre partie. Une autre voix.

Ça me vient alors que je participe à la chorale du collège, que chaque groupe tente de maîtriser sa partition. Ce que voit M., au côté des élèves qu’il encadre, ce que les élèves eux-mêmes vivent, ce que j’aperçois, ce que distinguera bientôt l’inspecteur qui viendra me visiter, en novembre, ne sont que des fragments. C’est l’ensemble qui constitue une classe. Ce que je tente de dire, avec le lyrisme dégoulinant qui me caractérise, c’est que j’aspire à créer l’harmonie. Je n’ai d’influence que sur des voix individuelles, mais ne peut les distinguer toutes précisément dans ce grand ensemble. Alors tenter de faire de son mieux. Corriger les fausses notes, celles qui blessent, qui enfoncent les mômes. Et créer, dans ce vaste groupe, quelque chose qui convienne à tous. Qui soit, oui, peut-être, beau.

On a toute l’année, pour apprendre The seal lullaby, à la chorale. J’aimerais mener à bien la partition de mes trois classes avant.

J’espère.

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