Samedi 5 octobre

Pour cette réunion durant laquelle nous faisons le bilan de la classe de sixième Evoli, D., mon co-professeur principal – nous sommes deux par classe – a crée un document Excel. Tout un tas de cases lisibles et colorées, indiquant différent points de vigilance à avoir sur nos élèves. Allophones, ne maîtrisant pas l’écrit, venant de très loin… Et puis il y a une case bleu clair, au milieu : « RAS ». Sur les vingt-trois mômes, cette case est remplie huit fois.

« Ça ne veut pas dire qu’on se fiche, hein », remarque D. pendant que nous parlons à la principale-adjointe, « c’est juste que pour le moment, il n’y a rien d’urgent dans leur situation scolaire. »

Léger vertige. Vingt-trois moins huit égale quinze. Quinze gamins qui, pour tout un tas de raisons, ne peuvent pas suivre la scolarité que le système français a crée. Et huit dont, forcément, on s’occupera moins. Alors qu’ils arrivent également avec leurs histoires, leurs questionnements, leurs problèmes.

Il y a deux ans, mon inspecteur m’avait averti de ne pas surindividualiser. « Attention à la pédagogie de garçon de café : à vouloir donner un peu chacun, on ne donne plus à tous. » Et si je reconnais la sagesse de ces paroles, il y a quelque chose qui me mange. Est-ce que ça, être prof ? Passer notre temps à gérer des dilemmes ? Laisser certains élèves sur le bord de la route pour espérer en amener d’autres ? Les faire avancer, tant bien que mal, ensemble, tout en sachant que nombreux d’entre eux feront semblant ?

Il n’y a rien qui me touche plus au monde que les êtres humains, dans tout ce qu’ils ont d’unique et d’individuel. Et chaque année, c’est cet espèce de serpent lové sous mes côtes : qui est-ce que je suis en train d’abandonner ? Même si je sais que nous sommes une équipe, et qu’il est tout bonnement impossible de donner aux centaines d’enfants que nous voyons chaque année exactement ce dont il a besoin, je sens ma force et mon énergie s’étioler dans ce dilemme.

RAS.

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