
On pourrait minimiser, et dire qu’Anthéa se noie dans un verre d’eau. Mais en réalité, c’est vertigineux. Depuis le début de l’année, j’ai l’impression que la moindre phrase prononcée en cours, la moindre notion abordée ouvre en elle des abîmes de réflexion. Depuis que nous étudions l’Iliade, elle croise le moindre renseignement pour comprendre qui en est le responsable. Est-ce Eris, la discorde ? Pâris et son – erreur de – jugement ? La brutalité d’Agamemnon ?
Si ce n’était « que » ça.
La conjugaison aussi, c’est une immense question. Pourquoi six personnes ? Pourquoi ces temps et pas d’autres ? Comment ces mélanges de langues arrivent-ils ? En combien de temps ?
Des Anthéa, j’en rencontre régulièrement, dans mon travail d’enseignant. Au regard des profils d’autres élèves, leurs vertiges semblent souvent des angoisses privilégiées. Mais c’est également un tourbillon qui peut engloutir.
Alors, tenter de lui ménager un gué.
À chaque début de récréation, Anthéa a compris que cet espace est pour elle. Elle vient me demander. Pourquoi les gens sont-ils racistes, pourquoi y a-t-il davantage d’animaux dans la savane, pourquoi le grec s’écrit-il comme ça, pourquoi les instruments à cordes.
Anthéa n’est pas seule, des adultes ont remarqué, ses ailes d’albatros. Et espèrent qu’elle finira par les agiter suffisamment pour s’envoler. Mais en attendant, c’est un poids, un de ces innombrables poids dont sont lestées les adolescences.