Jeudi 17 octobre

Hier soir, une lectrice – mon dieu, quatre mots et on est déjà dans le prétentieux puissance trois milliards – s’alarme, alors que je parle du comportement plus que dysfonctionnel d’un élève. Pourquoi ses condisciples sont-ils condamnés à supporter son attitude ?

Cette question me plonge toujours dans un abîme de perplexité. La seule certitude que j’ai à ce sujet, est que la bonne réponse n’existe pas. Je l’ai déjà écrit dans un billet précédent, la tentation de mettre « les méchants » dans un trou sans fond, une prison infinie, ou des abysses peut sembler séduisante sur le coup, mais elle est inhumaine. Toute aussi inhumaine que de forcer un élève qui joue le jeu de l’école, et essaye sincèrement de progresser en faisant confiance au système, de devoir étudier avec quelqu’un qui, à côté de lui, l’insulte ou transforme le cours en une annexe de Macumba dance-club.

Je pense aussi parfois à l’année dernière : le lycée d’Agnus, établissement dit réputé, dans lequel j’aurais presque pu me contenter de dire « travaillez » au élève pour avoir cinquante-cinq minute de silence séraphique et concentré. Pourtant, je n’ai jamais rencontré ailleurs autant de mal-être et de phobie scolaire.

Cet exemple maladroit pour en arriver à un constat qu’il est tout autant : l’ordre absolu dans les établissements scolaires n’est pas plus accessible que dans la société en général. Nous passons notre temps avec des êtres humains, aussi divers que dans le monde des adultes. Et mettre chacun à son exacte place est une tâche quasi-impossible.

Et de plus en plus. Car je ne suis pas non plus résigné au point de hausser les épaules, avant d’extraire en soupirant un compas de la fesse de Théo, car Line se sentait d’humeur mutine aujourd’hui. Les facteurs aggravants existent. Mais, hélas, les pointer semble trop souvent passer pour des attaques personnelles, quand bien même il s’agit tout simplement d’urgences à régler, que nos responsables politiques soient des champions de dos crawlé dans la Seine ou des énarques, que les enseignants soient agrégés ou contractuels, que les élèves soient issues de famille possédant trois chalets à Avoriaz ou rien du tout.
On pourrait pointer les effectifs par classe, trop souvent pléthoriques. La difficulté à diagnostiquer des troubles bien réels chez les élèves, professionnels débordés, parents réticents, mômes étiquetés comme chiants. Le peu de considération et de formation pour les enseignants, qui jonglent de plus en plus vite et, conséquemment, de plus en plus mal, avec des tâches pour lesquelles on ne les forme pas.

Je brasse des généralités ? Probablement. Mais ces généralités ont des conséquences très concrètes : à savoir que, alors que tout le monde est en train de tranquillement lire le premier chapitre d’Hector, le bouclier de Troie, Evilan va se mettre à bondir dans la classe en barrissant. Qui doit supporter ceci ? Personne, à commencer par lui-même. Mais la situation est là.

J’aimerais que mon analyse soit plus fine, plus originale. Mais hélas, je ne peux que brasser ce que le corps éducatif répète depuis des années, de façon de moins en moins audible : une éducation de qualité passe par davantage de moyens. Et avant qu’on devienne tout rouge et qu’on m’agite des graphiques, je parle de moyens didactiques, humains, psychologiques, de moyens qui dépassent les murs du collège. Entre les murs, tu parles.

Evilan qui nuit à ses camarades de sixième, c’est avant tout un gamin profondément en souffrance. Mais c’est aussi un symptôme. Le symptôme d’une incapacité collective à donner sa place à tous les membres de la société. Le symptôme d’une tentation, logique, humaine et malsaine : supprimer, biffer ce qui nous agace et nous inquiète. Le symptôme que moi, égoïstement, de façon totalement grotesque et égocentrique, je ne parviens pas à trouver la formule magique qui aiderait l’intégralité des élèves de la sixième Feunard. Voilà, ce que nous supportons tous, collectivement. Avec parfois quelques astuces, quelques intuitions qui nous permettent des périodes d’accalmie, des heures de cours extraordinaires. Peut-on espérer mieux ? Je le souhaite de tout mon cœur. Mais la solution nécessitera que nous soyons tous très courageux, très pragmatiques, et très gentils.

Laisser un commentaire