Samedi 19 octobre

La cinquième Astronelle est la classe la plus dysfonctionnelle que j’ai eue depuis très longtemps. À l’exception de trois ou quatre élèves, tous portent le système scolaire de guingois : problème de français, qui n’est pas leur langue maternelle, problème de comportement – de la contestation perpétuelle à la provocation permanente – problème de développement, physique ou mental.

Je termine le chapitre sur les personnages héroïques en ce vendredi matin par une évaluation. Recette pour un désastre. J’ai refusé de raboter la séquence, ou de brader les questions. Et de leur côté, ils sont très fâchés contre moi, parce que j’ai expliqué que non, je ne pensais pas que remplacer ladite évaluation par un petit déjeuner bis à base de crocodiles Haribo qui piquent et d’Oasis tropical était envisageable. C’est donc avec leur tronche des mauvais jours qu’il entrent dans ma salle. J’ai à peine le droit à un bonjour, et me sens limite moins à ma place ici que Xal’atath, la plante verte qui trône sur mon bureau.

Au tableau, une feuille A4 vidéo projetée. Après leur avoir non sans mal fait sortir une copie (« Fallait prendre une feuille ? Azy vous nous aviez pas dit qu’il fallait ACHETER des trucs pour le contrôle ! »), je la remplis avec eux, avec force détails. Ne pas aller trop vite, laisser le temps à tout le monde de prendre sa trousse, faire tomber sa trousse, ramasser sa trousse. Laisser redescendre la colère due au fait d’avoir fait tomber sa trousse. Enfin, ils se retrouvent tous avec leur feuille et leur sujet de devoir.

« Monsieeeeeeur y a beaucoup trop de questions. »

Ne sois pas tranchant, ne sois pas intransigeant. Ça ne fonctionnera pas avec eux. Inspire. Trouve une solution. Marche avec eux.

« Oui. Mais vous n’avez pas besoin de toutes les faire.
– Ah ouais ? Genre j’en fais deux et bam, j’ai vert + ? (On évalue par compétences à Rénaïs, et ça change le lexique des mômes, par rapport aux notes. Leur conception de la réussite, pas trop).
– Non. Vous faites le maximum, pendant une heure. Si vous répondez bien, vraiment bien à trois questions et qu’il vous a fallu toute l’heure pour le faire, oui, je valoriserai. Mais je vais vous regarder, non stop, pendant une heure. Je veux de la dentelle. »

Ils ne réagissent pas à cette dernière analogie, qui doit parler à tout casser à deux d’entre eux. Méfiants, ils se plongent dans la lecture du texte – l’histoire de Bucéphale, par Plutarque – et, doucement, oui, avec soin, commencent à écrire.
C’est une heure très longue, très silencieuse. Dont les mômes sortent en ordre dispersé. Pas trop de « bonnes vacances ». Mais pas d’acrimonie non plus.

Durant deux heures de trou dans la journée, je corrige les copies. J’ai le cœur serré. Non que ce soit un désastre. Mais j’aurais aussi du mal à appeler ça une réussite. Une chose est certaine : ils se sont tous confrontés, très fort, au sujet durant une heure. Avec, parfois, neuf réponses plus le sujet d’écriture optionnel. Les réponses sont bonnes, mais l’écriture lutte énormément à rester dans les interlignes. Ici, les grosses boucles rondes des voyelles formulent des phrases extrêmement simples, car il fallu lutter pour que les mots s’organisent dans le bon ordre. La moitié à peine du devoir est traitée.
Aucune copie blanche, ou torchée en deux deux. C’est déjà ça. Mais tellement, tellement, tellement de difficultés, aux géométries radicalement différentes. Est-ce une victoire, de les avoir convaincu de s’y confronter à ces difficultés ? Probablement. Mais une victoire vide, si je ne parviens pas à en faire quelque chose. Impression de franchir des obstacles pour, à chaque fois, m’en trouver devant un encore plus grand. Encore plus infranchissable.

Comme eux.

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