Lundi 21 octobre

La première fête de l’amicale a lieu dans un complexe multisportif. Ce qui fait que les pongistes, concentrés sur leurs échanges, voient tout un tas de gens excités manger, boire et danser en muet, derrière des vitres de plus en plus embuées. (la porte est très bien insonorisée).

Ça fait aussi que lorsqu’on veut aller faire pipi, il faut très vite se faufiler, et remonter, sur la pointe des pieds, des rangées de tables où ça fait pic-poc-pic-poc.

Mme G., la principale-adjointe, observe cette cours de récréation temporaire pour adultes sans trop oser bouger. Sans même trop oser sourire. Sauf quand quelqu’un vient la trouver. Alors elle change de visage, alors elle fait partie, comment dire, des nôtres, ceux dont elle a la responsabilité. Jusqu’à ce que son interlocuteur reparte se servir un verre de punch. Alors, elle reprend sa vigile.

D. arrive un peu en retard. Je suis content qu’elle soit venue, qu’il n’y ait pas que des profs. Je n’ai pas réussi à convaincre plus d’un AED à venir. On discute un peu. Elle me parle du pays qu’elle a laissé derrière elle, par choix. « Parfois je me demande pourquoi. J’avais tout, là-bas. » Et puis elle secoue la tête. « Non, ça n’est pas vrai. »

J. me regarde. Depuis que je l’ai rencontré – c’était au mois de juillet, c’était le premier collègue que j’ai vu – j’ai une envie dévorante qu’on soit amis. C’est en bonne voie. Je ne sais pas pourquoi. Il a un regard terriblement doux et une ironie mordante. Ça pourrait suffire, mais ça n’est pas tout.

Avec S., on passe notre temps à se croiser. Elle est comme moi. À passer de tables en conversations, de toasts au fromage de chèvre aux tables de ping-pong (les joueurs ont fini par déserter, on va taper quelques balles. Je perds 11-7, je craignais pire). Avec S., on passe notre temps à s’échanger des sourires. Tant qu’elle est là, tout ira bien. Cette certitude m’habite depuis plus d’un mois, et c’est une immense source de réconfort.

C’est une soirée qui ressemble à des dizaines d’autres déjà vécues. À des milliers d’autres dans des milliers de collèges de France. Et j’ai le cœur gros, comme à chaque fois. Joie et mélancolie mêlées. Ça fait du bien de voir ces personnes, qui accomplissent chaque jour l’impossible – j’en suis témoin – se lâcher un peu. Encore une fois, je suis de passage, parmi eux, et cette année, je m’attache encore plus vite qu’à l’accoutumée. « Ça va tellement vite » est la phrase que j’ai dû prononcer le plus, depuis la rentrée scolaire.

Je noie ce début de mélancolie en sautillant sur Rage Against The Machine et en expliquant pourquoi j’aime tellement Clara, dans Doctor Who. A. est à fond dans notre conversation, les autres nous regardent, interloqués.

Plus tard, beaucoup plus tard, je raccompagne des gens en voiture, je suis capitaine de soirée. Tout le monde s’égaille en rigolant. M. se tourne vers moi, avant de quitter l’habitacle :
« C’est con, on se reverra pas avant deux semaines. »

Il m’étreint maladroitement par-dessus le levier de vitesses et rejoint ceux qui deviennent très vite des silhouettes, sous les réverbères de la ville.

Tant d’images, tant de voix. Parfois, on peut se permettre de chanter au premier degré que nous sommes beaux, comme des diamants dans le ciel.

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