Vendredi 25 octobre

Lors de la dernière heure de cours avec les sixièmes Evoli, j’ai fait quelque chose que je n’osais plus faire depuis longtemps : je leur ai fait la lecture.

Raconter des histoires, je sais que ça fonctionne. Parce que je suis en maîtrise du fil. Je sais quand ouvrir grand les bras, devenir le cyclope poursuivant Ulysse, passer rapidement sur les détails plus chiants, comme la description du bouclier d’Achille. Les mots sont les miens, le rythme aussi.

Mais lire, lire c’est toujours plus compliqué. Parce que tous ne comprendront pas. Parce que je suis, comme eux, captif du rythmes des autrices et des auteurs. Pourtant, en ce vendredi d’avant les vacances, où tous les mômes étaient cuits, ne parvenant plus à se concentrer après quarante minutes, j’ai saisi le bouquin. Et comme toujours :

« Vous pouvez suivre avec moi, si vous voulez. Ou mettre la tête dans les bras. Ou dessiner. C’est le bonus d’avant les vacances.
– On ne peut pas plutôt faire un goût…
– Non, lâchez cette bouteille d’Oasis. »

Grognements. Je ferme quelques rideaux, éteint une partie du moche plafonnier.

Et me voilà. Moi, ma voix, et un texte que j’apprécie – je ne l’aurais pas donné à étudier sinon – mais que je ne maîtrise pas totalement. Je respire. Accepter d’arrêter d’être totalement en contrôle, que ce soit des mômes ou du texte. Et juste, pour cette fois, se concentrer sur un truc. Habiter les mots. Même s’ils ne comprennent pas tout, même s’il leur manque des images à la fresque, leur faire comprendre. L’amour sororal de Cassandre pour Hector, la peur d’Hécube, la suffisance de Pâris.

Alors que c’est ce que je fais tous les jours, je me suis rarement senti aussi vulnérable face à ces mômes. Peut-être est-ce pour ça qu’ils se laissent un petit peu aller eux aussi. Celui qui pose la tête sur ses bras en me regardant, lunettes un peu en vrac sur son nez. Celle qui griffonne sur son cahier de brouillon, et s’arrête dès que je marque une pose. Ceux qui bavardent un petit peu au début – j’essaye de ne pas m’interrompre, ne pas briser le fil du récit – et puis finissent par écouter, ou accepter de faire semblant.

C’est un moment qui a été mille fois vécu par mille enseignants, dans mille établissements.

Mais parfois, se soumettre aux anciens rites a du bon.

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